22 mai 2018

Amérique Latine : virage à droite?

Par Cécile Soubelet

Depuis le 19 avril dernier, Cuba a pour Président, Miguel Diaz-Canel, un homme de 57 ans qui ne porte pas le nom de Castro. Rupture ? Sa carrière et sa première déclaration présage d’une continuité puisqu’il promet notamment de « défendre la Révolution ». Qu’en est-il de ses pays voisins ?

Le constat est saisissant : qu’elle soit progressiste, social-démocrate ou communiste, la Gauche qui a conquis de nombreux pays d’envergure dans les années 2000(Brésil, Argentine, Bolivie, Chili, Nicaragua, Pérou, Equateur, Paraguay…), enchaîne désormais les revers. Si on exclue les pays dont les dirigeants ont cédé depuis à l’autoritarisme (Bolivie, Venezuela), seul l’Uruguay semble résister, à l’image du Portugal en Europe.

Les réalités sont, certes, extrêmement disparates et propres à chaque pays ; de même que les multiples explications des échecs (problèmes d’incarnation, difficultés économiques, sociales,…). Néanmoins, plusieurs réflexions et remises en question au sein des partis politiques de Gauche commencent à faire jour. Parmi celles-ci (très nombreuses), certaines pointent des réalités intéressantes qui peuvent s’appliquer, dans une certaine mesure, à la situation européenne :

1/ Les électeurs font fi de l’Histoire et votent de manière individualiste : si l’on prend le cas du Chili qui a basculé à Droite, il montre que le spectre Pinochet appartient au 20e siècle et a perdu toute sa symbolique passée. Il ne sert donc à rien de tenter de raviver un orgueil ou un symbole de résistance Les électeurs veulent des réponses à leurs préoccupations quotidiennes, faisant l’abstraction des éléments connexes.

2/ La Gauche n’incarne plus un idéal auprès de la classe moyenne. Cette nouvelle classe, elle a émergé grâce à la Gauche qui l’a sortie de la pauvreté pour accéder à un mode de vie plus confortable. Mais le Gouvernement n’ayant pas pris en compte ses nouveaux besoins, aspirations et préoccupations ainsi créées (au première rang desquelles ne pas retomber dans la pauvreté), elle a perdu un vivier important de voix.

3/ Corolaire du point précédent, la Gauche ne se saisit pas de l’enjeu des nouvelles sources d’inégalités.Il est ainsi frappant que l’Environnement, le droit des Femmes ou le numérique soient absents des réflexions et des débats au sein des Partis de Gauche. Souvent jugée trop à l’avant-garde ou, à l’inverse, trop d’arrière- garde, la Gauche doit faire face à un véritable enjeu de renouvellement de lecture politique des enjeux sociétaux et économiques.

4/ La Gauche est confrontée à un problème de leadership, entre corruption et non-renouvellement de sa classe politique. La corruption des hommes politiques, à tous niveaux, a généré une crise aigue de la confiance. C’est ainsi que des nouveaux partis ont vu le jour comme les partis évangélistes au Brésil, ou certains arrivent au pouvoir comme les partis d’extrême droite au Chili. Ces partis permettent au passage un renouveau générationnel grâce à des porte-parole bien plus jeunes (la moyenne d’âge est divisée par deux entre un parlementaires d’extrême droite et un parlementaire socialiste au Chili).

5/ Une fois au pouvoir, la Gauche s’est éloignée des forces sociales et des corps intermédiaires. Cette distance s’est opérée à deux niveaux : par la promotion d’ « apparatchiks » au sein des partis et des instances de gouvernement, au détriment de membres de société civile et des corps intermédiaires d’une part ; et d’autre part, par une rupture de dialogue avec les forces sociales proches du terrain, lors de l’exercice du pouvoir. C’est d’ailleurs sur cette réalité que l’Uruguay tire notamment son épingle du jeu puisqu’il y existe une grande promiscuité entre partis politiques et forces sociales.

6/ Peut-on vraiment gouverner avec un Gouvernement de coalition ? L’Amérique latine a la particularité d’être moins composée de partis politiques structurés que de coalitions d’intérêts et mouvements populaires. Dès lors, leur équilibre reste fragile comme peuvent l’illustrer les situations de l’Equateur ou de la Bolivie. Au Chili, c’est également la recherche du consensus permanent au sein des différents partis du Gouvernement Bachelet qui a pu conduire à des réformes avortées ou pas assez profondes pour apporter de véritables changements dans la société.

Ainsi, l’année 2018 peut être considérée comme un test pour la Gauche en Amérique Latine, avec plusieurs échéances électorales (Paraguay, Venezuela, Colombie, Brésil, Mexique). Le Costa Rica a élu le 1er avril dernier son nouveau Président en la personne de Carlos Alvarado. De centre-gauche, il s’est imposé en proposant un modèle de société radicalement contraire à son adversaire, défendant notamment la lutte contre la violence, le mariage homosexuel et plus largement la thématique des Droits de l’Homme ; des nouveaux enjeux de société et une nouvelle lecture politique qui ont permis de faire la différence.

Cécile Soubelet

 

 

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