27 mars 2019

Marchons contre le Capitalisme pour le Climat

Par Vautrin

Il faut être aveugle pour ne pas voir l’état actuel de délabrement de la lutte sociale en France.

Depuis maintenant dix-neuf samedis, les Gilets Jaunes défilent, seuls, trop seuls. Le dernier week-end, celui de l’acte XVIII, a révélé au grand jour l’impossible convergence des luttes, la défaite de l’intersectionnalité, chère à une grande partie de la gauche.

D’un côté les Gilets Jaunes parqués sur les Champs Élysées, attendant le renfort en fin de journée de la Marche des solidarités, ou encore de ceux qui défilaient de l’autre côté pour le climat. Malheureusement, les rivières ne se sont pas jetées l’une dans l’autre pour constituer un fleuve capable de renverser le pouvoir.

On peut regretter le manque de solidarité de ceux qui défilaient pour le climat avec les Gilets Jaunes, comme si les questions sociales et environnementales étaient disjointes. Comme si fin du mois et fin du monde ne relevaient pas du même combat. Comme si le climat était un enjeu plus noble que les basses revendications sociales et démocratiques des Gilets Jaunes. Une telle attitude de la part des « marcheurs » (sic) pour le climat peut s’expliquer de plusieurs manières.

Majoritairement urbains et issus des classes moyennes et supérieures, ceux qui ont marché pour le climat vivent une existence parallèle à celles des Gilets Jaunes. Bien que leur manque de projection et d’empathie à l’égard de ces « petits moyens » puisse être critiqué, il nous paraît bien plus important de souligner les lacunes politiques et théoriques qui les mène tout droit vers un mot d’ordre superficiel. Car derrière les difficultés de vie rencontrées par les Gilets Jaunes, et la question du dérèglement climatique, il y a un seul ennemi commun, une seule et même racine : le Capitalisme.

Cette incapacité à structurer et formuler un point de vue radical sur la question environnementale, est témoin de la faiblesse d’analyse de la gauche de parti. En effet, celle-ci préfère évoquer « un système » plutôt que de bien nommer ce système, autrement dit critiquer ouvertement le Capitalisme tel qu’il est réellement : un rapport de production et un mode de production particulier. Dans une telle perspective, il devient encore plus difficile d’imaginer des horizons alternatifs et positifs au Capitalisme, sentiment si bien résumé par la brillante saillie du philosophe slovène Slavoj Zizek « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. ».

Mais il y a plus grave. En effet, la principale raison à l’ineptie de fond de « La Marche pour le climat », réside dans le phénomène d’occultation produit par le récit de l’anthropocène, récit aujourd’hui plébiscité par la majorité de gauche. Popularisé en 2000 par le lauréat du Prix Nobel de chimie Paul Crutzen, le terme anthropocène désigne essentiellement deux choses : que la Terre est en train de sortir de son époque géologique actuelle pour entrer dans une nouvelle époque, et que cette transition géologique est attribuable à l’activité humaine.

Plus précisément, le concept a été forgé dans le but de désigner les transformations environnementales inédites enclenchées par l’activité humaine : réchauffement climatique, niveau de pollution sans précédent, déforestation, érosion de la biodiversité, fonte des glaces, surpêches, acidification des océans, sixième grande extinction, etc.

Ce récit promu par des intellectuels à succès tels que Yuval Noah Hariri dans son best-seller Sapiens, ou encore par le collapsologue très médiatisé Pablo Servigne (invité par François Ruffin dans Une Dernière bière avant la fin du monde par exemple) ne cesse de gagner les esprits.

Cette théorie remporte un tel succès que la maison d’édition du Seuil a senti le coup en lançant sa collection Anthropocène. Cette théorie essentialise l’homo sapiens en tant qu’espèce nécessairement destructrice de son environnement, inspirant alors une condamnation morale, culpabilisante, incarnée par le fameux « Trier pour la planète », suriné à longueur de journée, à tous, de la 6e à l’EHPAD.

Face à une telle théorie, il est impératif de rappeler le rôle joué par le Capitalisme dans le dérèglement climatique. Nous devons à tout prix substituer à l’anthropocène ce que l’on doit appeler désormais le capitalocène.

Comme l’explique parfaitement Andreas Malm, dans L’Anthropocène contre l’histoire, chercheur en écologie humaine à l’Université de Lund en Suède, ce n’est pas l’activité humaine en soi qui menace de détruire notre planète, mais bien l’activité humaine déterminée par le mode de production capitalisteet par le mode de vie marchand qu’il induit.

Pour Andreas Malm, l’économie fossile correspond à un nouveau stade du capitalisme. Les nouvelles machines renforcent la subordination des travailleurs au capital et augmentent la productivité du travail.

Désormais, il ne peut plus y avoir de capitalisme et de croissance économique sans énergie fossile. Les infrastructures et les technologies fossiles deviennent indispensables au capitalisme.

Si des énergies renouvelables se développent, ce ne sera qu’une addition énergétique mais sûrement pas une transition énergétique. Malm rappelle ensuite comment l’exploitation des sources d’énergie a mené à la mise en place d’une économie fondée sur la consommation croissante de combustibles fossiles, en lien étroit avec le processus d’accumulation du capital qu’elle suppose.

C’est cette logique économique qui se perpétue aujourd’hui, générant une croissance continue des émissions de gaz à effet de serre.

Pour Malm, blâmer l’humanité du changement climatique revient à laisser le capitalisme se tirer d’affaire. Pour résumer, « A un certain stade du développement historique du capital, les combustibles fossiles deviennent un substrat matériel nécessaire à la production de survaleur. (…) Le capital fossile, autrement dit, est de la valeur se valorisant elle-même par la métamorphose de combustible fossile en CO2. » (Malm), pour faire simple, le capitalisme-vert est une vaste fumisterie puisque le caractère illimité du processus d’accumulation intrinsèque au capitalisme nécessite une consommation toujours plus effrénée d’énergie.

Dans la même veine, nous conseillons à tous nos lecteurs l’ouvrage d’Armel Campagne Le Capitalocène : aux racines historiques du dérèglement climatique, ce dernier insiste sur les origines capitalistes du désastre climatique. Le saccage de la nature ne provient pas de l’espèce humaine en général, mais d’un mode de production et d’un mode de vie. C’est même le développement du capitalisme qui renforce le dérèglement climatique.

Au final, c’est par une telle analyse historique que nous pourrons véritablement repolitiser les enjeux accaparés par les scientifiques et autres experts de pacotille, et répondre point par point au concept trop vague d’anthropocène, qui pollue les luttes « pour le climat ».

Alors, peut-être, nous accélérerons la convergence nécessaire à un changement radical de société, tant pour les Gilets Jaunes que pour la planète.

Vautrin

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