Par Thomas Puijalon
Quand on ne comprend pas un mouvement, on tente de le réduire à des schémas, des codes et de catégories connus. La spontanéité du mouvement des Gilets jaunes a pris tout le monde par surprise. Alors, le Gouvernement, les éditorialistes, les sondagiers ont cherché à ranger chacun dans une petite case qui permettait à la raison de s’en tirer à bon compte.
« Il y a des fautes d’orthographe sur les revendications portées sur les gilets jaunes, ce sont donc des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ».
« Il y a eu des propos racistes tenus sur tel rond-point, ce sont donc des électeurs de Marine Le Pen ». « Ils vivent à la périphérie des villes, ils votent Rassemblement national »…
Quand on file dans l’inconnu, c’est beaucoup plus simple de chercher à se raccrocher à des choses connues. Curieux, de la part d’un nouveau monde qui avait prétendu rompre avec toutes les habitudes, tous les codes de la politiques et tous les clivages passés.
Pourtant, quand on y regarde de près, ce mouvement rassemble des Français d’horizons très divers autour d’un même mot d’ordre : la volonté d’exister. Et dignement. Retraités, fonctionnaires, artisans, employés, ouvriers, femmes seules, patrons de PME… tous demandent avec la même force, transcendant les catégorisations politiques à pouvoir vivre de leur travail dans la dignité.
Dans ce mouvement des gilets jaunes, il y a une bonne nouvelle : le retour en force de la question sociale. Le cri des Français est une résistance ultime à la double rengaine thatchérienne de l’absence d’argent public et de l’absence d’alternative. Il y a bien une alternative à la politique ordo-libérale. Il y a bien de l’argent public et les Français ne sont pas dupes de l’endroit où il se trouve, tant le surnom de « Président des riches » colle à la peau du locataire de l’Elysée.
C’est bien contre l’injustice sociale et fiscale que luttent les Français. Un clivage social s’est réinstallé dans le débat public. Et nous ne pouvons pas nous tromper dans cette analyse, lorsque l’on voit la précipitation et la célérité avec laquelle tant Laurent Wauquiez que Marine Le Pen ont appelé à clore le mouvement dès lors que l’ombre du terrorisme a réapparu. Ce n’est pas la logique d’ordre public qui les guide mais bien une logique de caste… Tant que les revendications restaient insatisfaites, le porte-monnaie de ceux qui ont un intérêt politique à voter à droite voire à l’ultra-droite était inviolé. Dès lors que le Gouvernement a mis le doigt dans la satisfaction budgétaire des revendications, nos deux hérauts se sont carapatés pour défendre leur intérêt de classe celui des riches.
Et là, une fois de plus dans l’Histoire de France, il ne reste que la Gauche pour défendre l’intérêt des catégories populaires, des pauvres, des classes moyennes, des fonctionnaires, des petits patrons… Bref, de la très grande majorité des Français.
La question sociale est venue balayer comme un vent salutaire ces vieilles rengaines installées par Nicolas Sarkozy sur l’immigration. Emmanuel Macron, en bon Prométhée du nouveau monde, a bien tenté de jouer avec ce feu diablement mauvais de la question migratoire en voulant un cinquième pilier dans les débats ouverts aux Français. Il a dû reculer devant le front uni des syndicats, des gilets jaunes et des maires…
LA Question primordiale que pose le mouvement des Gilets jaunes est bien sociale. Quand tout l’ordo-libéralisme assemblé tente de démontrer, en bons héritiers de Thatcher et Reagan (modernité de première fraîcheur!), que « la société n’existe pas », les Gilets jaunes crient leur envie de faire société, leur volonté d’exister, d’être reconnus.
La gauche syndicale et politique commettrait une faute en restant spectatrice et sans chercher à produire du débouché politique.