Par Julien Dray
Le couvercle de la marmite a soudain sauté. On s’était habitués à dire que ça bouillait, que ça allait mal finir, que l’expression populaire allait se faire jour. Les pouvoirs successifs s’étaient eux par trop habitués à l’entendre dire sans s’en préoccuper davantage.
Les politiques mises en place depuis des décennies ne tenaient compte que d’impératifs économiques, de déficits publics, de contrôles des dépenses souvent imposées de l’extérieur. Ainsi, la seule différence entre la gauche et la droite en France tenait dans leur rapport au modèle social. Les premiers cherchant à le maintenir sans le renforcer, les seconds cherchant à le réduire à tout prix.
Pour la grande majorité de la population cette différence était devenue invisible.
Elle ne faisait que constater ; qui la baisse des prestations, qui la baisse de son pouvoir d’achat, qui l’augmentation de la précarité, qui l’augmentation du taux de pauvreté, du taux de chômage.
Petit à petit, l’accumulation de tous ces constats vécus au quotidien comme une dégradation, comme un déclassement, comme une atteinte à la dignité ; détournait le citoyen de la politique, il y croyait de moins en moins et même il s’en méfiait. Il était contraint d’accepter toujours plus de restrictions. Il en perdait les notions de liberté, d’égalité. L’individualisme grandissant des uns, l’isolement progressif des autres eurent raison de la fraternité.
Puis vint Emmanuel Macron ni de gauche, ni de droite ou de gauche et de droite et finalement bien à droite. Lui assumait, lui disait clairement qui il allait favoriser, lui allait tout changer. Dans l’espace géopolitique, la planète Jupiter allait faire rayonner la France depuis Paris : c’était la promesse d’un nouveau monde.
Il ne savait pas encore qu’il allait être le révélateur d’un négatif jamais développé. La photo est saisissante !
La politique verticale et centralisée a porté à son paroxysme l’exaspération et la colère que l’on ne voulait pas entendre. Aux inégalités de classe, de territoire, de destin se sont ajoutées l’injustice fiscale et sociale. Et trop, c’est trop !
Ainsi, ce ne sont pas ceux que l’on avait déjà contraint à la plus extrême précarité, à la plus extrême pauvreté qui déclenchèrent la révolte : Eux n’en avaient plus les moyens financiers ou psychologiques.
Ce sont bien ceux qui, par une mesure fiscalement injuste de trop, se voyaient poussés au bord de ce précipice : Les travailleurs éloignés des centres, les ruraux, les petits commerçants, les artisans, les familles monoparentales, les femmes seules… toujours plus taxés, toujours plus imposés alors que d’autres, en très petit nombre, s’enrichissaient de façon exponentielle. A trop vouloir isoler les premiers de cordée de ceux qui tiraient le diable par la queue, la corde s’est rompue.
Les gilets jaunes sont apparus et se sont étendus à tout le territoire. Ce mouvement, énorme, que l’on n’a pas voulu voir venir, a explosé. Il a permis à de multiples solitudes de retrouver du lien, à des antagonismes de s’accorder sur des fronts communs. Il a permis à une grande majorité de la population de se retrouver dans l’expression de cette colère. Elle soutient ce mouvement comme jamais on ne l’a vu.
Naissant d’un rejet global, général, les gilets jaunes ne peuvent être assimilés à une quelconque idéologie et ceux qui tentent de les récupérer s’y cassent les dents.
Après 5 semaines de lutte, de combat, d’occupations, de manifestations, de violence, le pouvoir, aidé en cela par l’instrumentalisation opérée par certains médias complaisants, a tout fait pour que le mouvement s’éteigne. Il en avait peur et il en a toujours peur.
Les conditions de ce retour à la normale sont-elles vraiment réunies ? Il semble bien que non !
Certes, cette mobilisation a déjà obtenu des résultats Elle a permis aussi des remises en questions politiques. Elle a révélé, par delà même ses propres contradictions, l’état de la société française.
Mais, si certaines mesures vont permettre un début d’amélioration, même si des réponses ont été apportées aux revendications financières, rien a changé du point de vue de la justice fiscale : Les Riches ne paieront pas davantage, les autres pas moins qu’avant ; les grandes entreprises continueront de bénéficier d’avantages que les TPE et PME n’auront pas. Enfin, aucun virage de politique solidaire n’est en vue. Paradoxe d’une option libérale assumée, c’est par l’endettement et le déficit que l’on va financer les mesures décidées ; au détriment de qui ?
La question sociale reste donc entière.
Le rôle de la gauche, de toute la gauche, est donc clairement identifié. Il ne s’agit pas de s’approprier ce mouvement mais de l’accompagner, de permettre son développement et son prolongement.
En 1968, la gauche n’avait pas pris la mesure de la contestation et de ses conséquences. Le pouvoir de droite en avait été renforcé. François Mitterrand, prenant conscience de cette erreur initiale, s’appuya alors sur cette volonté populaire pour imaginer un projet alliant progrès social et changement de société. Sa « Force tranquille » allait redonner de l’espoir à la France entière.
Nous ne pouvons pas attendre dix ans. Au choix que l’on tente de nous imposer, entre l’ordo-libéralisme et le nationalisme, nous devons imposer une troisième voie, celle qu’ont ouverte les gilets jaunes par leur volonté d’émancipation, par leur rejet du centralisme et de la verticalité, par leur refus de se laisser entrainer vers toujours plus d’inégalité.
C’est à la gauche aujourd’hui de se mobiliser avec ou à la suite de ce mouvement pour redonner sens à un modèle universel issu de la révolution à partir de la question sociale !
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