18 mai 2024

Ne nous résignons pas au plan d’austérité de Bruno Le Maire

Pour les étudiants en droit, il n’y a rien de plus terrifiant que le droit fiscal. C’est l’idée même de calcul qui les horrifie, à l’instar de Bruno Le Maire. Son calcul à lui ? Comment réduire le déficit public.

Qu’est-ce donc que le déficit public ? C’est lorsque les recettes de l’État (État central, collectivités territoriales et sécurité sociale) sont inférieures à ses dépenses. Le déficit public, c’est la différence entre les deux. Mais pourquoi faut-il réduire ce déficit public ? C’est parce que pour pouvoir dépenser plus que ce qu’on reçoit, il faut emprunter de l’argent. Or, quand on emprunte de l’argent, on paie des intérêts. En 2023, la dette totale de la France (le cumul de tous les déficits publics passés) s’élevait à 3 088,2 milliards d’euros. Et rien qu’en 2023, la France a dû payer 53,9 milliards d’euros d’intérêts. Cela représente deux fois le budget de l’enseignement supérieur en France. C’est presque quatre fois le budget de la justice et, dans un monde où la guerre se répand comme traînée de poudre, ce n’est pas très loin du budget des armées.

Les pays membres de l’Union européenne s’engagent à avoir des finances publiques saines, et l’un des critères est un déficit public maximal de 3% par an. Un pays qui affiche un déficit public annuel est contraint d’emprunter chaque année plus d’argent sur les marchés financiers et doit verser chaque année davantage d’intérêts.

D’un point de vue plus politique qu’économique, le déficit et la dette publique représentent un endettement pour le futur, pour éviter d’imposer davantage les citoyens au moment présent. Ou, comme le disent les Américains, cela revient à faire payer nos propres dépenses à nos enfants. Un déficit n’est pas foncièrement mauvais, s’il est destiné à investir et à créer de la croissance. Cependant, ce n’est pas le cas de la France, constamment en déficit.

La France s’est donc engagée à réduire son déficit à moins de 3% d’ici 2027. Pour l’année 2024, le gouvernement avait initialement prévu un déficit de 4,4%, mais la prévision actuelle est de 5,1%. Comme chaque année, la dette publique de la France va augmenter, ainsi que les intérêts que nous serons obligés de payer l’année prochaine. C’est un cercle vicieux.

Pour réduire le déficit public, il n’existe pas mille solutions : un État peut soit réduire les dépenses, soit augmenter les impôts, ou encore bénéficier d’une croissance élevée : si l’économie croît, la matière imposable – l’économie – aussi, et les recettes fiscales augmentent en conséquence.

Évidemment, tous les pays espèrent que leur taux de croissance leur permettra d’éviter d’augmenter les impôts ou de baisser les dépenses. Cela ne semble cependant pas possible pour le moment. La croissance française a été revue à la baisse pour 2024, d’un optimiste 1,4% à un plus modeste 1%. C’est pour cette raison que le gouvernement a annoncé récemment des coupes budgétaires de 10 milliards d’euros pour 2024.

Quelle option le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a-t-il choisie ? Sa stratégie habituelle : ne pas augmenter les impôts (et même les baisser) tout en réduisant les dépenses.

Il est impossible de réduire les dépenses de l’État de 10 milliards d’euros sans que cela entraîne des répercussions sur les citoyens. Par exemple, le programme de rénovation des logements, qui permet de lutter contre le réchauffement climatique tout en réduisant les coûts de chauffage, sera écorné d’un milliard d’euros en 2024. Moins de logements pourront être rénovés.

C’est le cas également pour l’enseignement supérieur et le budget de l’enseignement public. Le niveau d’éducation en France baisse, mais au lieu d’investir davantage, le plan d’économie de Bruno Le Maire s’applique ici également. Tous les discours au monde ne suffiront pas à améliorer le niveau de l’éducation en France sans augmenter les investissements. Chaque personne travaillant dans l’éducation supérieure, qu’il s’agisse de personnels administratifs ou d’enseignants, est consciente que le budget est insuffisant.

Alors que, depuis la Covid, nous savons que le système de santé français est à vif et que les hôpitaux sont étouffés par leur situation budgétaire, alors que nombreux sont ceux parmi le personnel médical qui gagnent un salaire indigne, et alors que le nombre de lits est insuffisant, le budget de la santé sera également amputé par ce plan d’économie.

Bruno Le Maire promet qu’en abaissant les impôts et en s’astreignant à une rigueur financière, on créera une croissance qui profitera à toutes et à tous. Pour l’instant, nous n’avons ni rigueur budgétaire – car le déficit s’accroît – ni croissance. Seulement des coupes budgétaires.

L’éducation manque de moyens. Le système de santé mérite plus. Le changement climatique n’est pas combattu de manière suffisante. Notre système carcéral nous déshonore. Le monde devient de plus en plus dangereux, et le budget actuel de l’armée française ne lui permet pas de faire face. Les salaires des fonctionnaires doivent augmenter pour pouvoir attirer les personnes les plus qualifiées dans le service public. En vérité, il n’y a pas de domaine dans lequel la France investisse suffisamment.

Et si un autre chemin était possible ?

Qu’on en soit bien conscients : l’imposition n’est pas le seul domaine sur lequel on doit agir, mais il est crucial et nécessite une réforme de fond en comble.

Il faut se pencher sérieusement et sans tabou sur la question suivante : comment augmenter progressivement les impôts, parallèlement à une augmentation du niveau de vie ? Les pistes sont nombreuses, chaque impôt doit être examiné. Quelques exemples. L’impôt sur les grandes successions est extrêmement bas aujourd’hui. Dans le cadre d’une disparité de richesse de plus en plus élevée, l’impôt sur les grandes fortunes doit être ressuscité. Dans la même lignée, il faut mettre en place un échelon supplémentaire de l’impôt sur le revenu pour les revenus les plus élevés. La taxation des bénéfices exceptionnels parait évidente, dans un monde où les dividendes du CAC40 battent chaque année des records. La taxe carbone, en plus d’être positive pour le budget, permettrait une concurrence plus loyale entre les industriels européens et le reste du monde.

Cela ne peut pas être fait immédiatement, en une seule fois, mais sur une longue période. Chaque augmentation devrait correspondre à un investissement identifiable dans notre qualité de vie collective.

Ce qui est insupportable, ce n’est pas de payer beaucoup d’impôts, c’est de payer beaucoup et d’avoir l’impression de recevoir peu en retour. C’est aussi de payer beaucoup alors que les plus aisés sont moins imposés par rapport à leurs capacités et même parfois moins tout court.

Chaque augmentation d’imposition irait de pair avec une amélioration du niveau de vie en France. Mais ce n’est pas tout. Chaque augmentation signifierait également une baisse de la dette publique, et donc une baisse des intérêts. L’objectif à long terme : la fin de la dette et donc des intérêts, et la capacité d’investir cet argent dans différentes politiques publiques. Et osons être ambitieux : la France pourrait être excédentaire un jour. De cette façon, on mettrait fin au cercle vicieux des dettes, remplacé par un cercle vertueux d’investissement dans notre futur commun, dans nos enfants.

 

 

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