15 novembre 2020

Elections américaines, retour sur image

Par Laure Pallez & Sylvie Poulain


Le 13 novembre aux Etats-Unis,

On reprend tout juste son souffle tant l’hystérisation du débat politique nous a tenus en haleine. Le taux de participation à cette élection a été le plus élevé depuis 1900 atteignant un record de 60% (+ 25 millions de votants vs. 2016), et ce en pleine pandémie. L’usage du vote par correspondance sur ces scrutins, qui a longtemps constitué une exception aux Etats-Unis, nous rappelle à quel point un processus de vote serein qui obtienne le consentement de la nation se prépare tôt.

Cette séquence électorale a aussi montré que le bipartisme politique américain va de pair avec une aversion de l’autre et un arbitrage au nom des valeurs, avec la télévision comme principal outil propagandiste, trop peu pédagogique. Ce contexte de polarisation politique croissante et de blocages politiques répétés au congrès freine la vie politique américaine. Ces 10 dernières années, les grandes réformes qui ont changé la vie des américains comme l’Obamacare (2010) ou la réforme fiscale de Trump (2017) ont été rares tant les tensions partisanes et les contraintes de la procédure législatives sont nombreuses.

Une autre observation porte sur le paradoxe que certains votes locaux met en exergue: dans un Etat très démocrate comme la Californie comment expliquer le rejet de rejet de la proposition 22 qui avait pour objet de requalifier le statut des travailleurs indépendants en salariés, peut-être parce que les plateformes ont dépensé 200 millions de dollars dans la campagne? Dans un Etat où les Républicains ont gagné des points comme en Floride comment expliquer le vote en faveur de l’augmentation du salaire minimum à 15 dollars de l’heure ? Les cartes sont un peu brouillées et on doit s’interroger sur la définition du progrès et ses contradictions en Californie, Etat qui d’un côté milite ardemment et à juste titre sur les enjeux climatiques mais qui de l’autre renvoie à plus tard la question des protections sociales des plus exposés à l’ubérisation de la société. En Floride, il existe aussi un paradoxe entre un électorat très libéral en défaveur de l’intervention de l’Etat et attaché à la liberté comme sanctuaire individuel mais qui prône dans le même temps une augmentation du salaire minimum.

La bascule des classes populaires a été l’enjeu des élections américaines et il s’agissait avant tout pour les candidats de redonner aux gens de la dignité en cette période sanitaire et économique si rude. La Rust Belt par exemple, cette zone du Nord et du Nord-Est des Etats-Unis, a été très suivie. L’impact du déclin de cette région désindustrialisée a été particulièrement sévère dans les centres urbains, comme Detroit qui a perdu environ la moitié de sa population depuis les années 70, voire les deux tiers à Youngstown, ancienne capitale de l’acier située dans l’Ohio. Pourtant ces villes ont voté majoritairement démocrate pour plusieurs raisons : d’abord c’est le Vice-président Biden en 2008 qui a été à la manœuvre du large plan de sauvetage de General Motors et ses fournisseurs et les gens s’en souviennent, ensuite pendant la campagne, Kamala Harris a mis l’accent sur le Wisconsin, un État « hanté par les fantômes de 2016 » car ignoré par Hillary Clinton. Joe Biden est parvenu avec succès à reconstruire le mur bleu du Midwest perdu en 2016 où l’éducation et la santé sont des thèmes centraux. La conquête de deux bastions républicains, la Géorgie et l’Arizona est aussi remarquable.

Le sort des classes modestes a toujours été et reste au cœur du projet démocrate et les résultats ont été serrés avec 4 Etats remportés par Joe Biden à moins d’1% près (Géorgie 0.2%, Arizona 0.5%, Pennsylvanie 0.6 et Wisconsin 0.7%). Donald Trump est resté largement majoritaire chez les ouvriers et les employés (toute origine ethnique et genre confondus), largement en tête dans les zones agricoles et rurales (54%) et a réalisé des scores étonnants chez les femmes (43%), les Latinos (32% dont 36% chez les hommes) et les Afro-américains (15% dont 18% chez les hommes). On peut déplorer ce vote « rouge » qui serait une simple transaction économique (narratif républicain : sauvegarde des emplois, fiscalité avantageuse – à court terme), ou au contraire y voir une forme d’émancipation si on est optimiste sur la nature humaine qui refuse d’être assignée à un carcan et pour qui la recherche de liberté individuelle peut primer sur l’objectif de réduction des inégalités.

Finalement, Donald Trump aura failli sur son propre terrain, alors même qu’il se présentait comme proche des « préoccupations des gens » par son incapacité à le démontrer quand il le fallait vraiment durant cette épidémie. Face au nombre impressionnant de contaminations (9,5 millions) et de décès (232,000), il n’aura jamais donné le sentiment de s’en soucier réellement.

Quels enseignements en tirer pour la gauche française ?

Le rapport de chacun à la mondialisation pose question dans cette élection. Les Etats-Unis vont continuer de remettre en question les excès de la mondialisation et les avantages qu’ils en tirent encore. Alors que le libre-échange avait grandement profité aux Américains depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ce sera moins une priorité. Sans indépendance, notamment industrielle, il n’y a pas de véritable démocratie et cette idée se répand dans le camp démocrate. Le populisme de Trump n’aura pas réussi à déboucher sur un réel repli sur soi, sans doute parce que le trumpisme, lui-même, n’est pas un conservatisme.

L’élection de Joe Biden signifiera aussi la fin de la politique « America First » telle que pratiquée par Donald Trump et un retour au multilatéralisme avec la réintégration par décret présidentiel de l’Accord de Paris de 2015 dans le cadre plus global d’une politique d’investissements écologiques de 2 000 milliards de dollars, le retour dans l’OMS et des propositions de réformes exigeantes pour l’organisation, etc. Le pays ferait également son retour au sein du Conseil de droits de l’Hommes de l’ONU. La crise de la Covid-19 a montré l’affaiblissement des institutions internationales et ce volet politique est très attendu. Espérons aussi qu’une nouvelle ère de « commerce juste » reposant sur des accords définissant des standards élevés en matière d’environnement, de droits humains et du droit du travail débute. Sur ces sujets, l’internationalisme n’est pas seulement un atout, c’est la condition première de la réussite de nos luttes. La globalisation et l’interconnexion appellent à dépasser les frontières nationales car peu de problèmes rencontrés par les citoyens sont totalement dépourvus de racines internationales. Mettre en place une politique étrangère qui intègre les intérêts de la classe moyenne est le défi majeur sur lequel travaillent les think tanks progressistes aujourd’hui.

Enfin, cette élection a moins porté sur les différences exacerbées d’origine ethnique, de genre, d’orientation sexuelle, de « racisme systémique » voire de « domination patriarcale » que de perception du statut social, du coût de la vie et du rapport de chacun au reste du monde. La désignation de Joe Biden à la primaire démocrate donnait déjà des indications, le nouveau centre de gravité du Parti démocrate. L’universalisme est la clé de voûte du système politique que la gauche doit soutenir car il ne fait aucune exception à la dignité humaine qui doit être identique pour chacun quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. Les démocrates auront la lourde tâche de rassembler le peuple américain tout en travaillant avec leurs partenaires qui défendent des valeurs communes, transmises par l’éducation.

Il est plus aisé de maquiller ou d’effacer la réalité du trumpisme que de remettre en question les présupposés idéologiques. Nous socialistes ne devons pas tomber pas dans ces travers et devons globaliser les luttes et surtout conserver notre libre-arbitre dans une société de communication et d’immédiateté, pour faire avancer le vrai progrès*.

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