24 avril 2019

Gilets jaunes : Un peuple à part ?

Par Julien Dray

Bilan, à ce jour, de Monsieur Castaner (seules les données fiables et recoupées sont prises en compte) :

690 signalements
1 décès
260 blessures à la tête
23 éborgnés
5 mains arrachées
4570 Gardes à vue
3747 condamnations
697 comparutions immédiates
216 personnes emprisonnés

On a tout fait, de l’Elysée au ministère de l’intérieur en passant par la complicité de certains médias, pour discréditer un mouvement qui a pourtant été un révélateur sur bien des sujets. Parti d’une mesure fiscale, on a rapidement étendu les sujets., N’en déplaise aux anti Gilets jaunes, au pouvoir et à ceux qui le soutiennent, il s’agit bien de la plus grande crise sociale, environnementale et institutionnelle que connaît le pays depuis fort longtemps.

Sans les Gilets jaunes, les différents débats actuels n’auraient sans doute pas pris cette ampleur. La frilosité des politiques à leur égard, de notre point de vue coupable, n’a en rien remis en cause leur détermination.

On a d’abord voulu assimiler les Gilets jaunes à l’extrême-droite, puis à l’extrême-gauche, puis à un bataillon d’antisémites, de racistes, d’homophobes, à une horde de casseurs violents jusqu’à leur faire porter la responsabilité de l’augmentation de la délinquance.

Pire. On a donc réprimé comme jamais sous la VièmeRépublique. – la liste des blessés, des gardes à vue, des emprisonnements ne cesse de s’allonger – ces Gilets jaunes auxquels on a refusé le nom de « peuple » les renvoyant à un statut proche du terrorisme ; ces Gilets jaunes sont toujours là et de plus en plus organisés.

Après le rassemblement de Commercy, c’est à St Nazaire qu’ils se sont retrouvés, toujours plus nombreux, pour ce qu’ils appellent l’AG des AG. Autant dire que, contrairement aux informations savamment distillées par le ministre de l’Intérieur, le mouvement est loin de s’essouffler, voire de se laisser infiltrer par quelques groupes extrémistes.

Si ce mouvement s’organise, c’est bien que ceux qui ont tenté de le récupérer ont tous échoué. Les groupuscules d’extrême droite particulièrement ont perdu la bataille. Chassés des manifestations à plusieurs reprises, ils se sont discrédités.

Si ce mouvement se prend en charge lui-même, c’est bien que ceux qui ont tenté de le nier l’ont renforcé ! Que dire de la gauche réformiste qui a cherché toutes les occasions de s’en démarquer quand elle n’a pas repris à son compte la désinformation et les inepties gouvernementales.

Si ce mouvement perdure, c’est qu’il s’ancre dans un combat pour la justice sociale. C’est d’ailleurs la grande leçon de ces vingt trois semaines. En se politisant de fait, cette jacquerie fiscale se transforme et se retrouve autour d’une contestation anti capitaliste ; une contestation de travailleurs pour un monde meilleur.

Si ce mouvement apparaît iconoclaste, c’est qu’il a compris à quel point les codes utilisés par les syndicats ne lui convenaient pas. Le mouvement syndical s’est impliqué de façon individuelle et/ou localement mais tout en haut de la pyramide on a, là aussi, constaté un silence assourdissant, on a donné dans le sourire gêné. Ne serait-ce pas l’inverse d’un syndicalisme conquérant ?

La plupart des Gilets jaunes n’avaient jamais manifesté de leur vie avant le début de ce mouvement. Ils se sont découverts. Ils se sont reconnus. Ils avaient des points communs : perte de dignité, problèmes financiers, travailleurs pauvres, solitude, isolement, « ras le bol » fiscal. Ils ont réinventé une fraternité que l’individualisme avait progressivement fait disparaître.

Ils ont réinventé un dialogue des différences. Ils se parlent, quelques soient leurs opinions politiques, leurs origines, leurs situations familiales. Ils sont le reflet d’une société des oubliés du partage des richesses. Ils ne retourneront plus jamais chez eux comme si rien ne c’était passé dans leur vie.

Ils sont les héritiers de la commune. Ils inspirent, aussi, bien des mouvements au delà de nos frontières.

Ce pouvoir à bout de souffle, dans un système qui ne l’est pas moins, aurait tort de les considérer à la marge. Ils font partie intégrante du peuple. Le nier serait s’en éloigner davantage comme dans un ancien monde où des murs sépareraient les élites, les inclus, les riches… du reste de la population.

La France est montrée du doigt par toutes les démocraties du monde pour sa gestion de la crise, pour sa fuite en avant répressive, pour sa loi anticasseurs, pour l’utilisation d’armes comme le LGB, pour les tirs tendus de grenades de désencerclement ou de grenades lacrymogènes à la tête ou aux parties génitales.

Rien n’y fait. Se retranchant derrière le terme « Etat de droit » le président s’arroge celui de contester, voire de nier, la violence pourtant avérée.

Nous sommes bien dans la stratégie du chaos. La peur parviendra peut-être à dissuader les familles, les retraités, les personnes handicapée, très nombreux dans les cortèges depuis le début du mouvement. La peur ne gagnera cependant pas sur la détermination. On prend le risque, non pas d’un pourrissement, mais de l’exaspération. Seul, le pouvoir serait alors responsable des conséquences.

Alors oui ! nous défendons ce mouvement. Il n’est pas chimiquement pur. Il connaît des débordements, des erreurs, des incohérences. L’exploitation de tout cela tourne à la propagande anti Gilets jaunes. Pourtant, si nous condamnons certaines expressions indéfendables, nous n’en profitons pas, comme le souhaiterait le pouvoir en place, pour jeter le bébé avec l’eau du bain.

Le mouvement des Gilets jaunes est un acquis ! Un acquis pour la lutte sociale, un nouveau rapport de force face au capital. C’est la réaction salutaire de la société « uberisée », d’une population précarisée et le plus souvent surexploitée par un capitalisme devenu incontrôlable, ivre de sa force et de son pouvoir.

C’est sur ce réveil inattendu, sur cette force nouvelle, que doit se bâtir la Gauche de demain !

Aucune gauche ne peut se reconstruire en passant à coté ou en méprisant un tel mouvement social. C’est bien un nouveau front uni qui doit aujourd’hui se faire jour. Les Gilets jaunes ont ouvert une voie d’avenir. Quoi de plus symbolique que de le dire haut et fort à l’occasion du 1er mai ?

Julien Dray 

 

 

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