23 mai 2020

« Le social-libéralisme, maladie infantile de la gauche»

Par Daniel Goldberg


Mais où sont-ils toutes et tous passés ? Pendant des années, à longueur de discours, de tribunes, de très doctes affirmations appuyées par des expert.e.s issus des mêmes écoles, ils regardaient la « vieille gauche », celle qui parle pouvoir d’achat et résorption des inégalités avec la condescendance de celles et ceux qui sont persuadés que leur heure allait venir : l’Histoire allait avoir une fin et leur donner raison.

Ils étaient néanmoins d’une prudence feutrée pour ne pas apparaître au grand jour, sous forme de motion soumise au vote des adhérent.e.s du Parti socialiste. Non, tapis dans les majorités successives, votant des orientations qu’ils rejetaient sitôt l’encre seiche, ils savaient qu’il n’était pas très populaire dans la gauche française d’afficher son admiration pour Tony Blair ou Gerhard Schröder.

Leur modernité absolue, défendue sous le manteau, c’étaient pourtant les lois Hartz en Allemagne qui fragilisaient les demandeurs d’emplois et les précaires, la recherche comme au Royaume-Uni – déjà – d’un ruissellement en enrichissant les plus fortunés. Le travail devait « se réinventer », les revendications salariales ou de statut étaient de vieilles lunes, car le principal n’était pas là, même si pour beaucoup de familles des classes moyennes et populaires, les fins du mois étaient de plus en plus difficiles.

Et que dire des services publics, incapables selon eux d’aborder le 21ème siècle, dont la seule destinée était de mourir par une concurrence libre et non faussée entretenue et exacerbée. L’hôpital devait se tarifier à l’activité. Les impôts et la protection sociale se moderniser, comprenons-nous : diminuer, toujours diminuer pour laisser plus de place au secteur lucratif. Bien entendu, des considérations sociales ou environnementales pour les échanges commerciaux étaient décrits comme des obstacles insurmontables à la libre circulation des biens et marchandises.

Et la France ne devait voir son salut qu’en étant uniquement pourvoyeuse de services, en abandonnant à marche forcée toute son industrie, délocalisée avec toute la chaîne de valeur, dans des pays où la main d’œuvre est bon marché. Ce qui, en boomerang, fragilisait un peu plus encore les statuts et salaires dans les pays développés.

Il faut reconnaître que leur heure est bien venue et qu’E. Macron a, lui au moins, dit tout haut ce que tous les sociaux-libéraux français masqués se répétaient à mots couverts depuis des années. Et alors, beaucoup se sont levés, comme libérés de ces années clandestines, ils se sont révélés être ce qu’ils pensaient au fond depuis des années et ont marché…au grand jour.

Il faut dire que l’entourage de F. Hollande, avec, par exemple, un ancien ministre de N. Sarkozy aux plus hautes responsabilités avait laissé faire quand il n’encourageait pas, directement ou non. A force de ne plus avoir de boussole politique, de combats menés dans le sens du changement compris et attendu par les Français en 2012, le quinquennat s’est délité laissant la force montante prendre le dessus.

Mais aujourd’hui, sans revenir sur les échecs successifs de toutes les réformes menées depuis 2017, qu’en est-il alors que nous connaissons la plus importante crise économique et sociale depuis une centaine d’années, conséquence de la catastrophe sanitaire du Covid-19 ?

Résumons le débat ambiant : le travail humain est réhabilité, l’engagement désintéressé est le summum, la solidarité est le ciment de la société, l’hôpital public a tenu et sauvé autant qu’il a pu, les services publics ont tenté de ne laisser personne au bord du chemin, l’intérêt général n’est pas la somme d’intérêts particuliers, l’individualisme ne protège de rien quand l’essentiel est en jeu, les réseaux de solidarité locaux exemplaires ont permis de continuer à faire société même en étant confinés, nous réfléchissons même à réinvestir nos filières de santé et alimentaires démantelées.

Et l’État, cet État qu’il fallait priver de ressources au maximum en baissant les impôts de sociétés et des plus fortunés, l’État a porté le plus gros de l’effort des 110 milliards d’euros que coûtent les deux mois d’arrêt de l’économie… Et chacun compte maintenant sur les structures publiques, le budget de la nation et celui des collectivités territoriales pour amortir autant que faire se peut les défaillances d’entreprises à venir et le chômage qui va bondir.

Bref, l’accusée de ces deux dernières décennies, la Gauche « old fashion », avec ses valeurs et ses bases programmatiques, est réhabilitée ! Quand la nation est attaquée dans ses fondements, ce n’est pas le libéralisme, même socialisé, qui est la solution. L’individu libre est dépendant du corps social dans lequel il agit et la maximisation de son but dépend bien du comportement et de l’attention des autres, voir même de l’attention qu’il porte lui-même aux autres.

Nous verrons jusqu’où E. Macron pousse sa nouvelle « réinvention de soi-même », après celle de l’année passée, suite au mouvement des Gilets jaunes. Mais disons que Marx et Keynes ont sacrément remonté la pente dans le sentiment général face à Friedman et Hayek.

Et nos sociaux-libéraux français, de nouveau camouflés dans leurs certitudes premières, applaudissent autant qu’ils peuvent les médecins, infirmières et aides-soignant.e.s, les caissières de supermarché et les enseignant.e.s. Il faut donc d’attendre de leur récente conversion au réel qu’ils se mobilisent vraiment pour revaloriser leur statut, leurs salaires, leurs déroulés de carrière et la prise en compte de la pénibilité de leur travail.

Enfin, comme ils sont au mieux en convalescence et pour éviter toute rechute d’un monde d’après identique au précédent, il nous faut agir concrètement et construire, dans des formes renouvelées, une mobilisation pour une « République des Égaux, ce grand hospice ouvert à tous les hommes » et à toutes les femmes.

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