18 juin 2018

Espagne : peut-on croire à un renouveau de la social-démocratie ?

Par Cécile Soubelet et Juan Manuel Fernandez Romo

Ce fut la véritable surprise de ce printemps. Le 1er juin dernier, Pedro Sanchez, leader du PSOE, a fédéré autour de lui la gauche espagnole, des indépendantistes catalans et les démocrates-chrétiens basques pour censurer Mariano Rajoy et son gouvernement, enlisé dans la crise catalane et les scandales de corruption à répétition.

Peu connu des médias et à l’échelle européenne, ce quadragénaire économiste n’ayant jamais connu une élection, a réussi un véritable coup politique. Mais gagner une bataille ne veut pas dire gagner la guerre, et nombreux analystes politiques et journalistes (y compris de gauche) sont restés pour le moins dubitatifs. Pedro Sanchez peut-il réussir à redonner voix à la social-démocratie en Europe ?

Un Gouvernement symbole d’une politique européenne et sociale

Avec la composition de son Gouvernement, Pedro Sanchez a réussi un second tour de force. Composé de 17 membres, il est majoritairement féminin (11), un symbole fort dans un pays où la cause féministe est devenue un enjeu social prédominent. Il compte également un Ministre gay. En cela, Pedro Sanchez marque les esprits et créé une rupture avec le Gouvernement de droite précédent.

Mais surtout, c’est la qualité remarquable de ce Gouvernement qui illustre la grandeur des ambitions. Profondément européen, il rassemble ce que la Gauche modérée peut offrir de mieux, à savoir toute une génération d’experts de grande renommée dans leur domaine, formés pour la plupart dans les universités publiques du pays et maitrisant plusieurs langues.

A titre d’exemples, l’ancien président du parlement européen Josep Borrell a été nommé aux Affaires Etrangères, la directrice du budget de l’UE Nadia Calviño est Ministre de l’Economie, le premier astronaute espagnol Pedro Duque est en charge des Sciences.

Enfin, ce Gouvernement est, d’un point de vue de positionnement politique, totalement inédit, à deux égards. Tout d’abord, en nommant son Ministre de la Justice et celui des affaires étrangères, deux personnes aux positions engagées en faveur d’une Espagne indivisible, Pedro Sanchez affirme son engagement à faire taire toute velléité régionale visant à affaiblir le pays, et par là même, envoie un signal à l’électorat de centre droit.

En parallèle, en ne nommant exclusivement que des socialistes engagés et en refusant les services de Podemos, Pedro Sanchez choisit, dans un premier temps, une ligne modérée et réformatrice sans pour autant fermer la porte à un rassemblement plus large. Il pourrait ainsi créer le précédent qui manque tant à l’unité de la gauche en Europe.

La nomination de ce Gouvernement a d’ores et déjà deux conséquences politiques d’importance. La première est que les deux derniers sondages réalisés sur les intentions de vote pour les législatives de 2020 montrent que, pour la première fois depuis octobre 2015, le PSOE arrive en tête.

Plus encore, Pedro Sanchez se constitue un charisme de leader, devenant la personnalité politique la mieux perçue parmi les leaders des grands partis. La seconde est qu’en étant de centre gauche et doté d’un spectre d’électeurs très large – de Podemos sur la gauche (tendance Inigo Errejon) à Ciudadanos sur sa droite – , il provoque un glissement de positionnement des libéraux vers la droite, en frontal avec les conservateurs. L’opposition de droite se bat ainsi entre ces deux camps.

Un spectre d’actions qui ne pourra être que limité

Ce Gouvernement a un an et demi pour prouver et surtout marquer les esprits. Pour autant, il devra faire face à quatre difficultés majeures.

La première est l’obligation de gouverner avec 84 députés seulement (contre 350). Il devra donc réussir à rassembler les 96 députés qui ont soutenu la motion pour faire voter les lois. Or ces potentiels alliés présentent des opinions parfois très divergentes entre eux (indépendantistes, démocrates-chrétiens, coalition de partis de gauche). Dès lors, le Gouvernement devra jouer d’équilibre et ne pourra pas mener de changements profonds, comme une vaste réforme du travail.

La seconde difficulté réside dans un budget annuel qui a déjà été voté. La Gouvernement ne pourra donc proposer des actions que dans un cadre circonscrit et d’austérité.

La troisième reste la question de la Catalogne. Pedro Sanchez devra réussir à résoudre cette crise institutionnelle qui crispe de nombreux débats politiques, économiques et sociaux aujourd’hui en Espagne. On sait qu’il a d’ores et déjà réussi à rétablir un dialogue avec le catalan Quim Torra, mais le processus sera long.

La quatrième enfin est l’exigence de transparence et d’intégrité. Après les scandales à répétition dans la classe politique espagnole en générale et au sein du Partido Popular en particulier, l’opinion publique et les partis d’opposition (de gauche comme de droite) exigent une exemplarité du Gouvernement. C’est ainsi que le fraichement nommé Maxim Huerta a du démissionner du Ministère de la Culture et des Sports le 14 juin sous la pression, en raison d’accusations de fraudes fiscales.

Faire des contraintes de véritables opportunités au profit d’une politique sociale

Pour autant, faut-il y voir des obstacles insurmontables ? Contraint sur le volet économique, le PSOE ne pourra affirmer sa force et sa crédibilité que par une politique sociale forte pour séduire ses alliés politiques et, in fine, l’opinion publique.

Et les chantiers sont nombreux. Egalité Femmes-Hommes, hausse des pensions de retraite, congé parental, lutte contre les violences faites aux femmes, culture, éducation, réforme de la télévision publique…

Premier exemple, le 11 juin, Pedro Sanchez a annoncé l’accueil des migrants recueillis par l’association SOS Méditerranée et dont le navire était bloqué au large de Malte.

Une main tendue qui fait acte, face à une Italie radicalisée à droite, et une Europe tétanisée et divisée sur la question des migrants.

Dans une situation politique beaucoup plus complexe que son voisin portugais, le défi de Pedro Sanchez est immense, et le plus difficile reste à venir.

Alors que journalistes et observateurs politiques donnaient le PSOE comme mort il y a encore un mois, l’objectif du parti socialiste est simple : réformer socialement et tenter de convaincre l’opinion publique afin de remporter les élections municipales de 2019 et législatives de 2020.

Cécile Soubelet et Juan Manuel Fernandez Romo

Cécile Soubelet

 

 

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