23 novembre 2020

« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »

Par Pierre Mazzorbo

Le gouvernement vient de prêter la main à une proposition de loi de Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID, dans laquelle figure un article, le désormais célèbre « article 24 », qui limite la faculté de filmer l’action des gendarmes et des policiers.

Le Gouvernement, Darmanin en tête, a communiqué dans tous les sens et n’importe comment pour plaire aux syndicats de policiers en affirmant qu’il allait mettre fin aux images de policiers filmés dans l’action et diffusées sur les réseaux sociaux. L’intention de les protéger nommément du harcèlement est louable. Les policiers et les gendarmes font un métier difficile. Ils sont indispensables au bon fonctionnement d’une société.

Mais ils sont la proie d’une dérive croissante dans notre société, relayée par les syndicats de policiers qui font la course à l’échalote entre eux, la recherche de l’ordre pour l’ordre. Or, dans une république démocratique, l’ordre est au service du corps social et uniquement du corps social. La police et la gendarmerie sont instituées pour protéger la société et pas le pouvoir.

C’est le sens de l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »

Depuis que Nicolas Sarkozy a franchi la porte de la Place Beauvau, la coupure entre la police et la population n’a cessé de s’élargir. Les attentats de 2015 ont resserré la plaie. Les gilets jaunes et les témoignages filmés de violences policières à leur encontre ont réouvert cette plaie de manière béante.

Les syndicats de police ne cessent depuis d’appeler à l’ordre, au renforcement des mesures coercitives contre la société. Nous sommes d’ailleurs aujourd’hui la seule démocratie au monde où on règle la crise du coronavirus par des attestations en papier dont la contravention est passible de 135€ d’amende! La stratégie de la tension utilisée par Emmanuel Macron pour mater la révolte des Gilets jaunes ne pouvait que conduire à des excès, des heurts et un usage disproportionné de la violence. La France était louée il y a une vingtaine d’années en Europe pour sa stratégie du maintien de l’ordre à distance, qui a toujours cours en Europe du Nord. Elle était aujourd’hui brocardée pour l’usage systématique de la pression et de la tension contre les manifestants.

Les syndicats de police, comme le gouvernement qui les caresse docilement, ont oublié que dans une république démocratique, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » pour paraphraser l’oncle de Spiderman. Le monopole de l’usage de la violence ne s’exonère pas du contrôle de celui-ci, à commencer par le corps social lui-même.

Force est de constater en France que les policiers sont plus protégés qu’aux Etats-Unis souvent pris en comparaison. Le nombre de faits signalés pendant les Gilets jaunes n’a conduit qu’à d’infimes mises à pied, sanctions disciplinaires ou judiciaires.

La police française est entrée dans une forme de cécité. Les syndicats dénoncent en permanence la détestation du flic, mais l’institution ne fait rien pour se réformer, pour se moderniser, pour accepter le contrôle démocratique nécessaire à la pacification des relations avec la population française.

Les contrôles ne s’effectuent pas. L’IGPN n’est pas une structure indépendante. L’institution ne traite pas ses brebis galeuses et ne sanctionne pas les débordements. Pire, elle réclame la présomption de légitime défense et s’abrite en permanence derrière le délit d’outrage et de refus d’obéissance.

Cette situation ne peut plus durer. Il manque à la France un Ministre de l’Intérieur, comme il lui manque un Premier Ministre depuis le départ d’Edouard Philippe. L’autoritarisme de Gérald Darmanin n’abuse personne. Il ne masque pas son absence d’autorité.

Dans une République démocratique, une institution policière mûre accepte la responsabilité, sanctionne la faute et applique la loi pour elle-même comme pour les citoyens. Nous devons retrouver ce chemin.

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