12 juin 2018

Ses adversaires en rêvaient depuis longtemps, ÉLAN engage la fin du modèle français du logement social

Par Daniel Goldberg

Depuis des années, le logement social est régulièrement au cœur du débat public.

Ses détracteurs répètent régulièrement qu’il coûte trop cher en termes de dépenses publiques et qu’il ne devrait loger que les plus démunis. La loi SRU, votée en 2000 et renforcée en 2014, avait pourtant mis en place une logique à la fois vertueuse, pédagogique et efficace d’obligation de résultats pour la construction de logements sociaux là où il y en avait peu.

Néanmoins, c’en était trop pour les « premiers de cordée » de la société française qui ne voient le bonheur collectif que dans une ghettoïsation « par le haut » pour mettre de côté au sens spatial du terme les 4,5 millions de logements sociaux et leurs 10 millions de locataires.

Une logique de logement rare et cher s’est installée dans les zones denses du pays faisant de l’habitation un outil puissant de ségrégation sociale bien plus large, non seulement par le logement lui-même, mais aussi par l’école ou la facilité d’accès aux zones d’emploi. Il a fallu certaines politiques locales engagées et courageuses pour permettre des constructions variées mêlant locatif social, locatif libre et programmes d’accession.

Ce modèle du logement social plus que centenaire qui a résisté jusque-là repose sur un constat relativement simple : le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. C’est pourquoi la loi Siegfied instaure en 1894 les habitations à bon marché (HBM) destinées « à des ouvriers et des employés vivant principalement de leur travail et de leur salaire » et leur financement grâce à l’épargne populaire collectée par la Caisse des dépôts et consignations. C’est aussi le fondement de la loi Bonnevay qui instaure en 1912 des organismes publics particuliers pour construire, rénover et gérer ce type de logements.

Ainsi, le logement social doit être défendu comme un bien commun de la nation, dans lequel celle‑ci a investi sur le temps long, par la mobilisation de l’épargne populaire, par le portage au long terme d’opérations par des acteurs pour lesquels la rentabilité rapide et la plus forte possible n’est pas la boussole, par des opérateurs publics et privés dédiés qui savent différencier logement et produit financier, par des éco-systèmes, national et locaux, financiers et de décision, que beaucoup des pays nous envient.

C’est l’ensemble de cet édifice qui est fragilisé aujourd’hui, suite à la loi de finances 2018 qui a décidé d’une ponction d’1,5 milliard d’euros par an à compter de 2020 (800 M€ dès cette année) dans les fonds propres des organismes. Le projet de loi ÉLAN (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) fait système avec les mesures votées jusqu’à présents et annoncées jusqu-là comme uniquement à visée budgétaire pour les dépenses publiques.

La logique qui se met en place est celle que réclamait Bercy depuis des années, et que des majorités successives, de gauche comme de droite, avaient repoussée. Ainsi, face à cette ponction, les solutions proposées aux organismes consistent en premier lieu à les contraindre de vendre leur patrimoine, avec un objectif de passer de 8 000 à 40 000 ventes par an, cela sans même l’accord du maire de la commune.

Et il ne s’agit pas de permettre, comme cela est dit, l’accession à la propriété des locataires actuels, mécanisme restreint par la paupérisation des locataires HLM. Il s’agit surtout de développer la vente d’immeubles en blocs à des sociétés qui, immédiatement ou au bout de 10 ans, en feront des logements à prix libres, avec une forte rentabilité à la vente ou par la location.

Pour encourager un peu plus la logique, les immeubles ainsi vendus resteront pendant 10 ans dans le quota de logements sociaux reconnu à la commune, quota qui doit atteindre 25 % en 2025. Bien entendu, les organismes HLM vendront alors la partie de leur parc potentiellement la plus rentable pour trouver des acheteurs intéressés, avec un risque accru de ségrégation et de paupérisation du parc HLM.

Deuxième solution dans la start-up nation pourtant tant vantée, ici, c’est big is beautiful ! Les organismes sont contraints de se regrouper à marche forcée pour avoir un parc d’au moins 15 000 logements, sans que soit prouvées ni l’efficacité économique de tels regroupements uniformes sur tout le territoire, ni leur efficacité sociale en termes par exemple de gestion urbaine de proximité.

L’ensemble constitue un changement majeur : tout nouveau logement social construit devra intégrer sa possible revente à terme, au bout de dix à quinze ans. Dit autrement, en intégrant de fait le patrimoine de leur parc de logements dans le bilan des organismes, c’est la financiarisation du logement social qui est en marche, avec des investisseurs privés qui chercheront une rentabilité certaine et rapide. Tous les pays qui se sont engagés dans cette voie en souffrent encore.

Toutes les familles du logement social, notamment les sociétés privées, et, parmi celles-ci, celles qui ont comme actionnaire principal Action logement(l’ex « 1 % Logement »), peuvent ne pas faire la même lecture de ces évolutions, mais aucune ne sait véritablement quel sera leur modèle économique à venir. De plus, c’est tout le secteur de la construction qui est fragilisé par ce changement de paradigme, tant la construction de logements sociaux stabilisait financièrement des opérations mixtes, en donnant une plus grande confiance aux banques dans leur possibilité effective de réalisation.

C’est tout le paradoxe de cette politique : sous couvert d’un illusoire choc d’offre, incapable dans les faits de faire baisser les prix, et de protéger les fragiles, le risque bien réel est de freiner la construction et de livrer un peu plus les classes moyennes et populaires aux affres du marché.

Daniel Goldberg  

 

 

 

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