29 mai 2018

Quartiers populaires le discours sur la méthode d’E. Macron …pour en finir avec l’émancipation collective

Par Daniel Goldberg

De tous temps, sous tous les gouvernements, la prise en compte des difficultés de vie dans les quartiers populaires et les réponses aux revendications d’égalité de leurs habitants sont les révélateurs des méthode et pratique politiques plus larges en œuvre dans ces périodes.

Ainsi, sous François Mitterrand, suite aux réussites locales de « grands maires » de gauche comme Hubert Dubedout à Grenoble ou Gilbert Bonnemaison à Épinay-sur-Seine, la nécessité de procédures particulières, différenciées au droit commun, pour améliorer la vie dans ces quartiers s’inscrivaient dans un cadre plus large de reconnaissance pour les nouvelles classes moyennes et populaires logées à la va-vite pendant les 30 Glorieuses. Cela participait également à signifier, pour la France entière, que la « deuxième génération » faite de citoyens bien français allait vivre chez eux, c’est à dire ici.

Plus récemment, le kärcher de Nicolas Sarkozy qui devait « nettoyer » ces quartiers comme pour effacer les habitants et leurs problèmes révélait, à coup d’intitulés mêlant immigration et identité nationale, une volonté finalement ancrée de fracturer la société et de l’américaniser par strates et communautés, dans un chemin bien éloigné du « français de sang mêlé » vanté le temps de la campagne.

Et, dans le dernier quinquennat, après les ambitions de 2012, la mise sous le tapis du droit de vote des étrangers non-européens aux élections locales sans même défendre le projet à l’Assemblée nationale a symbolisé pour beaucoup l’image d’un renoncement plus global à mener des batailles politiques pour espérer les gagner. Et, malgré les nombreux postes d’enseignants ou de policiers recréés, les cinq ministres ou secrétaires d’état chargés successivement de la ville entre 2012 et 2017 ont montré a contrario en quoi ce sujet était plus une variable d’ajustement qu’une priorité destinée à être au cœur des politiques publiques. Quand, en plus, le terme dévoyé d’apartheid est lancé par le Premier ministre de l’époque sans évolution tangible dans la vie des habitants, cela a mis en lumière une confusion des esprits sur le ressenti global de cette France toujours vue comme à part, au lieu d’être à part entière dans la communauté nationale.

E. Macron veut en finir avec les revendications d’émancipation collective

Pour Emmanuel Macron, la banlieue est surtout l’occasion d’en finir avec les revendications d’émancipation collective portées par les quartiers populaires depuis plus de 30 ans. Refusant, une fois de plus, le dialogue social organisé avec les corps intermédiaires que sont ici les élus et les associations, il se situe dans une logique finalement très darwinienne de compétition généralisée : c’est « aide toi et le marché t’aidera » pour les individus, les quartiers comme pour les communes. Pour enjamber les représentants institutionnels et se soustraire ainsi à tout vrai débat critique, à toute co-construction de réponses aux multiples problèmes bien réels, il préfère finalement le se réfugie dans le concept d’égalité des chances, attrayant en théorie, mais qui dessine en réalité une France morcelée, dans laquelle seuls comptent les vainqueurs d’une logique entrepreneuriale débridée.

Au lieu de l’empowerement collectif et de la demande d’égalité partout et pour toutes et tous, c’est le culte de la réussite individuelle qui est mis en avant pour s’inscrire pleinement – osons le mot ! – dans une logique capitaliste.

Bien entendu, le pendant de tout cela est de dénigrer tout l’apport de la politique de la ville, les multiples actions sur le bâti comme sur l’humain qui, bien qu’insuffisantes, ont permis néanmoins de colmater des brèches au fur et à mesure des années. Bien sûr, une lutte résolue contre les discriminations est encore à ses balbutiements. De même, l’aliénation vécue par beaucoup de jeunes talentueux de nos quartiers par manque d’inclusion économique volontariste est un enjeu pour tout le pays. Mais jeter aux orties ce qui a été fait quand, comme E. Macron, on a eu soi-même toutes les chances de son côté et que l’on a encore aujourd’hui aucun bilan est contraire au rôle d’un président de la République qui se veut progressiste.

La première erreur du quinquennat : sous-estimer que les acteurs de la banlieue allaient croire en son discours

Tout cela aurait pu passer inaperçu s’il n’avait commis une erreur majeure dans ce débat, une des premières du quinquennat : celui de faire croire l’inverse de ce qu’il projette en fait. Confiant, après son discours à Tourcoing en novembre 2017, à Jean-Louis Borloo le soin de lui faire des propositions dans un temps mesuré, il ne s’attendait pas à ce que les acteurs de ce sujet croient à sa parole, développent des propositions de compromis sur beaucoup de sujets, avec la volonté de permettre de changer la donne dans ces quartiers.

Et, sans défendre une à une l’ensemble des mesures préconisées, c’est surtout le discours global porté par Jean-Louis Borloo sur l’absence de mobilisation réelle de la République pour la banlieue à la hauteur des besoins, l’absence d’égalité de moyens pour l’école, la santé, la sécurité ou le logement qui est de nouveau apparue. Et c’est pourquoi, il fallait défendre la logique de cette démarche, comme l’ont fait beaucoup d’élus de gauche et même certains de droite : souligner l’urgence de la situation et l’obligation absolue, sauf à se couper de millions de citoyens, de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, évalués en toute transparence.

Évidemment, reprendre à la hauteur nécessaire le contenu du rapport Borloo nécessitait des moyens pour que la République regagne du terrain dans des quartiers où elle a reculé. Évidemment alors, cela entrait en contradiction avec la démarche de moins d’État pour le plus grande nombre et de plus de logique de marché partout. Alors, dans un discours confus et très arrogant, il signifiait finalement le cœur de sa logique : une vision par communautés où la République s’incarne ou non suivant une couleur de peau.

C’est une forme de violence institutionnelle pour celles et ceux qui portent, souvent à bout de bras et depuis des années, une vision collective dans ces quartiers, les fonctionnaires des services publics, les élus, le tissu associatif déjà largement fragilisé par la disparition des emplois aidés. C’est bien sûr une forme de mépris pour celles et ceux qui se sont mobilisés ces derniers mois.

Aujourd’hui, puisqu’il est acquis que rien ne viendra directement du côté du pouvoir, c’est aux différents acteurs de poursuivre et prendre toutes leurs responsabilités. Puisqu’un conseil présidentiel a été mis en place, il ne peut se limiter à des temps de stand-up politique. C’est à ces femmes et à ces hommes aussi, connus pour leur engagement sincère pour la plupart, de jouer leur rôle, comme, il y a quelques années, Yazid Sabeg avait su le faire avec le comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU. Plus généralement, c’est aussi l’occasion pour les différentes familles de la gauche de jouer aussi le leur avec des propositions innovantes et qui parlent aux principaux concernés : les habitants de ces quartiers.

Daniel Goldberg  

 

 

 

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