6 juin 2018

Parcoursup L’avenir de la jeunesse soumis à la gouvernance par les nombres…

Par Daniel Goldberg

« La gouvernance par les nombres n’emporte pas du reste la disparition des lois, mais la soumission de leur contenu à un calcul d’utilité, en sorte qu’elles servent les « harmonies économiques » qui présideraient au fonctionnement des sociétés humaines »– Alain Supiot


Beaucoup a déjà été dit sur la procédure d’affectation des futurs bacheliers dans leur filière d’étude de l’enseignement supérieur. Les changements opérés par Parcoursup par rapport à la démarche précédente, Admission Post Bac (APB), posent à la fois des problèmes de forme et de fond.

Ce dernier, accusé l’année passée de tous les maux suite au tirage au sort organisé pour départager l’accès à des filières saturées, a été largement changé dans son esprit mettant en place un sélection non déguisée des étudiants sur des critères opaques. S’il serait faux de dire qu’elle n’existait pas jusqu’à présent dans notre système très dual d’enseignement supérieur, entre classes préparatoires à sélection et université sans moyens, c’est une concurrence exacerbée entre les jeunes adultes en formation, mais aussi entre les universités et, de ce fait, entre les territoires qui est érigée en système.

Car s’il était injustifiable de procéder à un tirage au sort, ces dernières années, quand bien même il ne concernait qu’environ 0,4 % des demandes, cet état de fait était surtout le résultat d’un manque de moyens pour les universités afin d’accueillir des générations plus nombreuses, et ce dans des filières leur permettant une voie de réussite.

Le choix de cette année ne résulte donc pas une question technique – la qualité d’un logiciel ou d’une procédure – mais est bien éminemment politique : l’État n’a pas été à la hauteur des enjeux. D’autant que le logiciel APB avait plutôt bien fonctionné l’année passé : au premier jour, le 8 juin 2017, 81% des lycéens (653 000) avaient eu une réponse positive qui était pour 50% d’entre eux leur premier choix. Ce résultat est à comparer à celui de Parcoursup cette année dont les premières réponses sont tombées le 22 mai. Le 6 juin 2018, soit deux semaines plus tard, 608 000 étudiants (75%) ont eu une proposition, mais seuls 285 000 (35%) l’ont acceptée et 204 000 lycéens (25%) n’ont toujours pas eu de proposition.

Comme toujours avec ce gouvernement, au-delà des discours rassurants, c’est une démarche très dogmatique qui a été mise en place, toujours la même, celle qui fait la part belle aux « premiers de cordée », et favorisant les jeunes les plus brillants et surtout celles et ceux qui, par leur famille, ont un meilleur accès à tous les codes et à tous les réseaux pour mieux évoluer. Quant aux autres, ils doivent attendre que ruissellent, jour après jour, des propositions d’affectation.

Là commencent les problèmes de forme. Le gouvernement avait largement argumenté sur la nécessité d’accompagner les familles, au moment de leur orientation, dans la liste de leurs choix à soumettre à la plateforme Parcoursup et ensuite, au moment de l’arrivée à l’université par des procédures adaptées et un encadrement renforcé si besoin. Mais, le résultat, c’est surtout un stress décuplé pour des jeunes qui s’apprêtent à passer le bac, stress que leurs prédécesseurs n’avaient pas connu à ce niveau, avec l’attente chaque jour pour savoir s’ils ont progressé dans des interminables listes d’attente dont ils connaissent peu les critères. C’est aussi le sentiment pour beaucoup d’entre-eux de portes qui se ferment sans raison, alors qu’ils sont au début de leur vie d’adultes.


La forme, c’est – comme toujours – le fond qui remonte à la surface !

Un autre problème de forme est la manière dont les jeunes ont eu à formuler leurs choix. Avec APB, ils pouvaient faire jusqu’à 24 propositions ordonnées (1erchoix, 2èmechoix,….) et la première réponse qui leur était positive annulait leurs demandes suivantes. Avec Parcoursup, il y a au maximum 10 choix, mais qui ne sont plus ordonnés. Or, quand on fait un liste de dix choix, surtout pour un parcours de vie, il y a bien sûr des préférences entre le premier et le dixième. Quand le gouvernement communique sur le fait les trois-quarts des futurs étudiants ont eu une réponse, personne n’est capable de dire si celle-ci correspond ou non à un choix préférentiel du lycéen. De plus, APB était basé sur un algorithme bien connu, celui dit des « mariages stables » (Gale – Shapley, 1962), qui assure, comme son nom l’indique, une certaine stabilité d’ensemble aux affectations grâce au choix préférentiels émis.

Avec Parcoursup, rien n’indique que le résultat soit le même. Un lycéen qui veut aller en A et a reçu une proposition pour aller en B peut la mettre en attente, tout comme une autre lycéen qui, lui, veut aller en B et qui eu une proposition pour A. Il n’est pas sûr, au bout du compte, que les deux ne finissent pas par accepter par dépit et à force d’attente, une proposition C qui leur convient moins à tous les deux. Et, bien entendu, le trou noir du système est la manière dont les différentes universités – voire chaque diplôme, en concurrence avec tous les autres -, ont appliqué des critères parfaitement opaques et qui leur sont propres pour classer les milliers de vœux d’étudiants pour quelques dizaines de places disponibles.

Là, ce sont des lettres de motivations à peine lues qui sont privilégiées…quand bien même chacun sait que les mieux formulées auront été écrites par des parents en capacité de le faire ou par des officines payantes qui ont rapidement flairé un nouveau marché. Dans d’autres filières, c’est à la troisième, quatrième ou cinquième décimale des notes de terminales que le classement a été fait, sans que personne ne puisse dire si ces notes, d’un enseignant de lycée à l’autre, et d’un établissement à l’autre, étaient comparables. Enfin, des pondérations entre les « bons lycées » ou reconnus comme tels et les autres ont été pratiquées, sans l’avouer bien entendu, tout cela sans que les bases légales soient pour le moins certaines.

Bref , pour éviter le tirage au sort et un échec en premier cycle, certes trop important, mais qu’il conviendrait néanmoins d’étudier en fonction de la réussite d’une cohorte d’étudiants finalement diplômés, le système mis en place déplace de l’État vers les universités, les enseignants du secondaire comme du supérieur l’incurie de la prise en charge des classes moyennes et populaires dans l’enseignement supérieur. Avec des risques augmentés d’aliénation pour certains jeunes qui ne candidateront plus dans des filières, s’ils pensent n’avoir aucune chance, un phénomène qui risque de plus de toucher les filles en particulier.

S’il est encore trop tôt pour parler de tri social, il faudra, en septembre, voir les différences marquantes d’affectation, suivant le niveau de revenu des familles et l’établissement d’origine. Les premiers retours émanant de lycées de banlieue, de première et de seconde couronne parisienne notamment, désespèrent en tous les cas déjà nombre de lycéens, leurs familles, ainsi que leurs enseignants qui doivent répondre au désarroi et parfois à la colère de leurs élèves et les remotiver pour épreuves du bac.

Parcoursup mêlé à l’autonomie des universités : vers une spécialisation
de l’enseignement supérieur au bénéfice de l’élite


On a encore peu dit que la mise ne place de Parcoursup correspond avec le fait que, depuis dix ans et la loi LRU, les universités sont en autonomie budgétaire et que celle-ci commence à peser à plein sur beaucoup d’établissements. Ceux-ci, après avoir restreint nombre de leurs diplômes, en sont maintenant à devoir spécialiser leur offre de formation. D’autant plus que les financement privés recherchés par l’intermédiaire de fondations ou de la taxe d’apprentissage coulent déjà bien plus facilement vers les établissements prestigieux et que le schéma à l’œuvre aujourd’hui risque d’augmenter le phénomène.

Quand aux autres, parce qu’ils devront accueillir les étudiants qui ont besoin d’être le plus soutenus devront piocher dans leur volume d’heures disponibles pour mettre en place les prérequis vendus par le gouvernement aux familles, sans moyens concrets dévolus à ces établissements.

Du coup, on peut raisonnablement penser que la question de relever sensiblement le niveau des droits d’inscription dès le premier cycle universitaire, avec la généralisation du financement des études par des emprunts bancaires.

Concernant l’accueil des nouveaux bacheliers, si une forme de mise à niveau à la fois dans la discipline choisie et pour maîtriser les méthodes propres à l’enseignement supérieur, serait utile à nombre d’étudiants, il y a fort à parier que rien de ce qui a été annoncé aux familles ne sera en place lors de la prochaine année universitaire. A ce moment, ce sont ces néo-étudiants et leurs parents, dépités entre ce qui leur a été annoncé et la réalité de leur vécu qui risquent, à juste raison de se mobiliser.

Volontairement ici, ont principalement été abordées les difficultés liées à affectation des futurs bacheliers généraux. Beaucoup serait bien sût à dire pour ce qui concerne les ceux issus de formations technologiques et professionnelles.

Transfert de responsabilité politique vers les équipes éducatives, aliénation dans le secondaire, sélection sur des critères opaques dans le supérieur sans égalité de traitement, y compris à l’intérieur d’une même académie, possible exclusion des étudiants des milieux populaires et stress exacerbé de ceux des classes moyennes, mirage de l’examen individualisé des candidatures, tout cela est le révélateur de la pensée non masquée d’Emmanuel Macron : le confort des élites nécessite que le plus grand nombre ne soit qu’une variable d’ajustement.

Daniel Goldberg  

 

 

 

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