4 décembre 2018

Quand les heures les plus sombres de l’Espagne resurgissent

Par Cécile Soubelet

On pensait l’Espagne comme l’un des rares pays européens à résister au populisme et à l’extrême droite. C’est avec stupeur que cette exception a été balayée d’un revers de main à l’occasion des élections régionales anticipées organisées en Andalousie ce week-end. Pour la première fois depuis la fin du franquisme, l’extrême droite incarnée par le parti Vox a obtenu des sièges au Parlement régional. Plus, alors que les derniers sondages leur conféraient 5 à 7 sièges, ils en ont raflés 12.

La débâcle est grande. L’Andalousie représente non seulement 20% de la population espagnole, mais c’est surtout le bastion historique du PSOE. Depuis 36 ans, cette région a représenté la réserve de voix la plus grande des socialistes. Dimanche soir, le parti est arrivé en tête avec 33 députés et 28% des voix, en perdant 14 sièges et 7 points par rapport à 2015. Or, avec une abstention record de 42%, une alliance avec la gauche radicale de Podemos ne suffira pas à gouverner.
Ce score – au-delà d’une condamnation des affaires de corruption qui ont gangréné la région andalouse ces dernières années – est le résultat d’une campagne offensive de la part des 3 partis allant du centre droite à l’extrême droite à l’encontre de la Gauche d’une part, et prônant le repli nationaliste d’autre part.

Le Partido Popular d’abord. Les conservateurs destitués du pouvoir par une motion de censure portée par Pedro Sachez fin mai avaient à cœur de prendre une revanche. Avec un nouveau leader, Pablo Casado, issu pour la première fois de primaires, le PP devait prouver que cette élection régionale andalouse symbolisait le début de la reconquête nationale. Ainsi, depuis cet été Casado n’a fait que stigmatiser l’ensemble des mesures prises par Sanchez et notamment :
L’accueil de l’Aquarius d’abord en insistant sur la peur d’une immigration massive non maitrisée venue d’Afrique, l’Italie fermant ses frontières, et les risques sécuritaires causés par les migrants.
La question de la souveraineté de Gibraltar ensuite : alors que Pedro Sanchez a signé des accords commerciaux de transition avant le Brexit, le PP réclame une prise de pouvoir et un rattachement de ce territoire britannique à la péninsule ibérique.
L’issue du statut catalan également : Casado accuse le PSOE et Podemos de dialoguer avec « les criminels indépendantistes » et prône la manière forte pour étouffer les velléités d’indépendance.
Plus grave, le PP s’est donné pour mission intrinsèque, viscérale et haineuse d’attaquer chaque jour un peu plus Podemos, alors que, dans le même temps, le parti d’extrême droite n’est ni perçu ni qualifié de radical par les conservateurs.

Dans ce contexte, Vox n’est qu’une version poussée à l’extrême des conservateurs. Parmi leurs mesures proposées lors de cette campagne, on trouve la construction de murs antimigrants dans les enclaves de Ceuta et Melilla, la recentralisation de l’Etat (fin de l’autonomie des régions), l’interdiction des partis indépendantistes et la suppression de la loi mémorielle qui a interdit l’exaltation du franquisme en 2006. Il demande également l’abrogation des derniers textes sur les violences faites aux femmes.
Ce qui est peut surprendre, c’est la sociologie du vote extrême. Si les meilleurs scores sont rencontrés dans la province agricole d’Almeria et les villes accueillant les migrants, c’est aussi dans les quartiers bourgeois de Séville que le vote radical s’exprime fortement.

Troisième parti, les libéraux de Ciudadanos souhaite démontrer que leur parti est en croissance et a une existence politique qui va au delà de la Catalogne et de Madrid. Là encore, l’ennemi affiché est clairement le PSOE attaquant sur leur mauvaise gestion locale et les affaires de corruption.

Désormais, à l’issue du vote, 3 options se font face :
la Gauche a appelé à « une mobilisation antifasciste et féministe face au danger démocratique », tendant la main aux libéraux pour se rassembler… ce qu’ils ont déjà refusé.
Les libéraux, voyant l’opportunité de ne plus jouer le 3elarron et de s’affirmer, ont proposé un ralliement du PSOE et du PP derrière eux. Ce qui a été également refusé.
Le plus probable est donc une union PP, Vox et Ciudadanos pour souder une majorité absolue.
Cette union inédite serait un précédent qui pourrait faire beaucoup de mal à la Gauche, non seulement au niveau national en vue des élections régionales de mai 2019, mais aussi des élections européennes. Cela montrera que tout est possible, les libéraux espagnols, principaux alliés de la République En Marche étant capables de faire alliance avec la droite ferme et l’extrême droite, et ce sans complexe.

Cécile Soubelet

 

 

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