Depuis le mois novembre que les Gilets Jaunes battent le pavé, j’ai successivement ressenti vis-à-vis de ce mouvement de l’indifférence, puis du scepticisme rapidement transformé en intérêt, en fascination et aujourd’hui en franc soutien.
En effet, je suis convaincue d’assister et de prendre part à un mouvement social populaire comme jamais je n’en ai connu et que la France n’a pas vécu depuis des décennies.
Cependant et ce malgré le caractère exceptionnel de cette mobilisation, je suis surprise par l’adhésion relativement faible de mes anciens camarades de gauche qui étaient pourtant, auparavant, mes partenaires de lutte et de mobilisation. L’expression « Manque d’adhésion » s’avère être un euphémisme, si certain se disent sans empathie, d’autres rejettent avec violence ce mouvement.
Après réflexion je vois trois raisons qui expliquent, à mon sens, la réaction d’une partie de l’ancien «peuple de gauche».
La première raison est assez évidente. Dès le début du mouvement une scission a eu lieu parmi les socio-démocrates. Les plus libéraux se sont immédiatement ralliés à la cause du gouvernement, affichant un mépris profond pour les gilets jaunes et adressant à leur égard des qualificatifs particulièrement violents.
Avec ce que nous appelions la droite du PS ou les socio libéraux, la facture a été violente recomposant plus clairement l’échiquier politique des socio-démocrates.
En ce sens nous pouvons remercier les Gilets Jaunes, en nous obligeant à nous positionner vis-à-vis d’eux, ils ont, en parti, clarifié un débat qui n’avait que trop duré dans certains partis de gauche.
Anciens camarades socialistes, je n’ai aujourd’hui plus aucune proximité politique avec ceux qui crachent avec les militants d’En Marche leur mépris contre les manifestants du samedi
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Si la première raison concerne uniquement les militants de gauche proche des idées libérales, la seconde raison touche de manière plus large toutes les anciennes familles politique de la gauche.
Pour ceux-ci, leur méfiance ou opposition vient du fait que les Gilets Jaunes seraient trop peu structurés politiquement, peu clairs, sans revendication précise, oscillant dans leurs commentaires du nationalisme à l’anarchisme, ne se rendant pas toujours comptes que leurs demandes sont contradictoires (moins d’impôt, plus de services publiques…)… etc. etc. etc.
Loin de l’image romantique du peuple révolté, uni et déterminé comme nous le dépeint souvent la littérature, ils découvrent « le peuple » dans sa réalité, divers, traversé par des idées contradictoires, mouvant en fonction des échanges, des expériences et des événements.
Ils ne supportent pas de voir en lui ces stigmates de classe, une orthographe hasardeuse (comme si nous pouvions tous nous targuer d’écrire comme des Académiciens), un langage argotique, des prises de parole peu politiquement correctes…
Ces personnes-là sont choquées de voir s’exposer de manière si directe et si crue la réalité des français modestes. Elles sont choquées et déçues que ceux-ci ne soient pas comme l’image d’Epinal pour laquelle ils pensaient se battre.
Leur plaintes et leurs souffrances leurs semblent alors vulgaires…
La troisième et dernière raison qui peut expliquer le rejet d’une partie des militants de gauche vis-à-vis des Gilets Jaunes est un corollaire de la seconde.
Comment expliquer soudain que nos bons militants de gauche découvrent la réalité des plus modestes et ne se sentent plus d’empathie vis-à-vis d’eux ?
A mon sens, l’enseignement que dispense depuis des décennies l’Education Nationale a permis au plus grand nombre et donc au plus modestes la possibilité et la légitimité de s’informer, d’analyser, de comprendre, de se forger une opinion sur les sujets de sociétés.
Les nouveaux modes de communication, internet, les réseaux sociaux, permettent à chacun d’avoir accès à l’information d’une part et de se s’exprimer dans des cercles élargis d’autre part.
Les français modestes (et je mets ici de côté ceux qui ne bénéficierait ni de l’un ni de l’autre), le « peuple » a donc aujourd’hui la possibilité de préparer soi-même sa révolte.
Plus besoin comme lors de la Révolution de ces aristocrates altruistes qui généreusement mettaient à son service leur rang, leur éducation, leur pouvoir. Plus besoin non plus comme dans les années 60 d’étudiants héroïques qui sacrifiaient leur brillante carrière pour organiser la défense des intérêts prolétariens.
Aujourd’hui le peuple parle seul et se défend seul. Il n’a plus besoin d’être assisté pour s’exprimer, il n’est plus uniquement le bras armé qui fait nombre derrière l’instruit qui le guide. Il n’y aurait donc plus d’étendards à porter, plus de micro à prendre pour parler de la souffrance d’un autre, en somme plus de gloire et de noblesse à conquérir en se sacrifiant pour le peuple.
Et bien quoi ? Les Gilets Jaunes, le peuple (si tant est qu’il existe un peuple et un seul) n’auraient donc que faire des femmes et hommes politiques ? N’ont-ils pas besoin pour mener leur combat d’intellectuels ?
Au contraire.
Ce mouvement nous oblige nous, femmes et hommes engagés politiquement à l’humilité et à l’écoute.
Si les Gilets Jaunes refusent qu’on leur trace une voie qui ne serait pas la leur, pavée de nos certitudes programmatiques et de nos théories politiques réchauffées, ils demandent que nous entendions leur complexité et leur diversité, que l’on s’intéresse leur réalité.
Ce mouvement a aujourd’hui plus que jamais besoin de nous comme nous avons besoin de lui. Besoin de nous pour l’aider à prendre de l’ampleur, à se structurer idéologiquement pour rallier plus de monde à sa cause. Nous avons besoin de lui pour sortir de notre torpeur, nous confronter à nos erreurs passées et redessiner nos propositions et nos idéaux.
« Le Peuple » ne souhaite plus que nous fassions pour lui mais que nous construisions avec lui nos lendemains.
Amis et camarades de gauche, à samedi prochain.
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