Yo que me encuentro tan lejos,
esperando una noticia,
me viene a decir la carta
que en mi patria no hay justicia:
los hambrientos piden pan,
plomo les da la milicia, sí.
De esta manera pomposa
quieren conservar su asiento
los de abanico y de frac,
sin tener merecimiento.
Van y vienen de la iglesia
y olvidan los mandamientos, sí.
L’extraordinaire Violeta Parra a écrit cette chanson dans les années 60 à propos de son pays le Chili… il y a 60 ans et pourtant tellement d’actualité.
Il n’a fallu qu’une toute petite augmentation du ticket de métro, pas même 4%, pas même 4 centimes d’euro pour qu’en quelques heures le Chili s’embrase. Parti de la capitale, Santiago, le mouvement prend rapidement de l’ampleur et s’étend à toutes les autres villes du pays.
Une augmentation du ticket de métro… petite en montant mais gigantesque en symbole. Car les chiliens le disent, s’ils se révoltent aujourd’hui ce n’est pas pour le métro, c’est pour la santé, c’est pour l’éducation, c’est contre les inégalités toujours plus fortes qui rongent ce pays, c’est contre un système qui, malgré les alternances politiques, n’a pas évolué d’un iota depuis des décennies et qui plongent ses racines au cœur même de la dictature de Pinochet.
Le Chili, reconnu pour sa stabilité économique, est un des modèles les plus poussés au monde de libéralisme économique. À la suite du coup d’Etat du Général Pinochet, ce pays devient le terrain de mise en application et d’expérimentation de l’idéologie néolibérale de l’école de Chicago. Le « miracle » Chilien, pays économiquement stable dans un continent en proie à de grandes fragilités, cache une réalité terrible de classe.
Dans ce pays où le secteur privé est omniprésent, dans la santé, le transport, l’éducation… tout se paie et tout se paie en fonction de ses moyens, une opération, une école primaire, un accouchement… Les pauvres ont l’éducation, la santé et les retraites qu’ils peuvent s’offrir. Avec un tel système, impossible de sortir de sa classe sociale, aucun ascenseur et aucun espoir pour les plus modestes. Les pauvres restent pauvres, les riches s’enrichissent et l’ordre est immuable. Plus d’une fois l’air désabusé j’ai entendu des Chiliens face à une situation terriblement injuste me répondre dans un soupir de lassitude « Eso nos pasa por ser pobres pues ! » (« C’est ce qui arrive quand on est pauvre ! »).
Aujourd’hui le monde change. Le Chili, pays coincé entre le plus grand océan de la planète et l’une des chaines de montagne les plus hautes avait développé des mentalités très insulaires et repliés sur elles-mêmes. Cependant le tourisme se développe, les jeunes partent facilement étudier ou travailler à l’étranger, internet apporte chaque jour une plus grande visibilité de ce qui se passent ailleurs. L’iniquité de ce système, son immobilisme apparait aux yeux de plus en plus de Chiliens comme insupportable.
Alors il suffit d’une étincelle, une injustice de plus, pour que tout prenne feu, pour que les chiliens disent non fermement et avec violence. Ils commencent par resquiller le métro puis vandalisent les systèmes de transport et dans le désordre qui s’installe les pillages de supermarchés se multiplient.
La réaction hâtive et disproportionnée du président Pinera appelant l’armée maintenir l’ordre et imposant un couvre-feu n’a fait que mettre de l’huile sur le feu. La dictature de Pinochet a pris fin il y à peine 30 ans, le souvenir des disparus et des tortures est encore frais dans l’esprit de tous les chiliens. Face aux militaires dans la rue, les Chiliens revivent un cauchemar qu’ils espéraient ne plus jamais revivre, les jeunes générations voient de leurs propres yeux ce que leur parents et grands-parents leur avaient raconté comme une époque lointaine et révolue.
La réaction de président est tristement classique. Face à une révolte populaire, il joue sur le registre de la peur, parle de guerre en utilisant la même rhétorique que le général Pinochet avait utilisé avant lui. Il tente d’opposer les Chiliens entre eux en pointant du doigt pillages et dégradations réalisés par quelqu’un, les gentils qui manifestent contre les méchants qui cassent et volent. Or ces pillages sont une des réponses politiques à une société injuste.
Pourquoi les plus pauvres devraient vivre au ban d’une société de consommation pour la simple raison qu’ils sont pauvres. On leur offre certes un artefact de richesse en leur donnant la possibilité et en les incitant à s’endetter pour s’intégrer dans cette société (aujourd’hui la majorité des chiliens vivent avec des endettements très lourds). Lorsque tout vacille, les plus pauvres se rétribuent sur le dos d’un système qui les exploite et les utilise injustement depuis des générations.
Malgré l’armée dans la rue, malgré le couvre-feu, malgré les excuses publiques du Président Pinera, malgré les mesures d’urgence pour réduire la pauvreté proposée par le gouvernement, malgré les tentatives de discrédit du mouvement, le mouvement prend de l’ampleur. Il se diffuse dans toutes les catégories sociales. Les concerts de casseroles se font entendre de Las Condes et Viña del Mar, villes aisées à Antofagasta et Cerro Navia, quartiers très populaires en passant par Maipu, cœur de la contestation, quartier de Santiago où vivent les classes moyennes. Hier ils étaient des milliers, venus de toutes classes pour manifester ensemble pacifiquement contre ce système.
Comme en France, comme en Equateur, comme au Liban, Comme en Algérie, cette révolte est celle du peuple contre un système libéral qui divise, qui opprime et condamne.
J’espère de tout cœur que le courage et l’union des chiliens serviront, non pas à faire tomber un pantin de plus à la tête de ce système, mais à repenser celui-ci en profondeur pour que tous profitent enfin de ce fameux « miracle » du Chili.
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