par Laure Pallez, Florence Baillon, Hélène Demeestere /
Partant du constat que l’éloignement du pays natal et/ou la binationalité n’entraînait pas nécessairement une diminution de l’intérêt pour la vie politique, nous nous sommes posé la question de ce lien particulier pour les Français de l’étranger : existe-t-il une spécificité dans la perception et l’exercice de l’engagement politique ? Comme militant et comme candidat ? Dans le l’exercice du mandat ? Selon la nature de ce mandat ? Comment se traduit la double allégeance ? Existe-t-il un risque de conflit d’intérêt plus aigu en politique ? Pour fournir des éléments de réponse, nous avons fait le choix d’une méthodologie ad hoc à la fois dans les sources et dans l’élaboration du document.
Au-delà de la bibliographie, dans trois langues, actualisée sur le sujet, nous nous sommes appuyés sur des questionnaires spécifiques à l’étude et ce, de manière articulée avec une approche anthropologique spécifique aux représentants des Français de l’étranger binationaux à travers le monde. Ce matériel a été complété par des analyses comparatives sur la binationalité dans les pays dont sont issues les personnes interrogées. Enfin nous avons fait appel à des contributions collaboratives. Le document final se nourrit de tous ces apports dans une perspective globale. Les résultats sont à la hauteur de l’investissement. Ils éclairent le thème plus vaste de la représentativité en politique, entre identité et mobilité. Ils ouvrent un large champ de réflexion sur la dissymétrie dans l’allégeance aux nationalités, sur les aspects institutionnels de la relation des citoyens établis hors de leurs frontières à leur pays et sur leurs pratiques politiques. En bref : Un tiers (en moyenne mais peut atteindre une proportion de 69% au Maghreb par exemple) des immatriculés dans les consulats de France à l’étranger sont bi ou plurinationaux. Et quid de l’engagement politique des binationaux ? Il existe des binationaux qui sont élus hors de France et ne représentent pas la communauté française où ils se trouvent. Ils peuvent être élus dans le pays de leur autre nationalité ou pas. Malgré la difficulté de les trouver, nous en avons identifié plusieurs. Leur parcours est tout à fait original : un franco-chilien exilé en France élu à son retour dans son pays redevenu démocratique et un Français élu local en Australie et conseiller des Français du même pays. Perspective historique : Si leur démarche est originale, elle n’est pas inédite, comme en témoigne un rappel historique sur Joseph Mascarel élu maire à Los Angeles au XIXème siècle, rédigé par l’historienne Hélène Demeestere. Après de nombreuses péripéties, on peut dire que les Français accueillis dans les années 1860 à Los Angeles jouèrent un rôle politique éminent. Considérés par les Mexicains comme leurs semblables, car ils apprennent rapidement l’espagnol et partagent un héritage catholique, et simultanément respectés par les Américains qui les voient comme des frères en démocratie puisqu’ils partagent le même idéal de liberté prôné dans leurs Constitutions respectives, ils furent le lien indispensable et nécessaire au gouvernement encore fragile de cette petite ville du Far West à l’avenir plein de promesses. Revenant à l’époque actuelle et aux binationaux jouant un rôle politique dans leur autre pays de nationalité que la France, et afin de compléter notre étude, nous les avons soumis à un entretien adapté à leur situation particulière et avons réalisé une analyse de leur situation binationale dans leur deuxième pays. Il apparaît qu’être binational constitue un avantage électoral puis un atout dans l’exercice du mandat pour orienter les administrés vers les interlocuteurs pertinents des deux pays. En outre, la binationalité est perçue comme un avantage par les élus interrogés : « elle leur permet de jouer sur plusieurs cultures, d’élargir leur sociabilité » : « Avoir la nationalité du pays de résidence et non un visa place l’élu dans une autre temporalité ». C’est donc à la fois le statut (être national) mais également la connaissance des deux univers qui favorisent l’interface essentielle dans un rôle de représentation comme l’est un mandat d’élu. Au-delà de l’exercice, la binationalité peut exercer une influence sur la prise de décision politique, même lorsqu’il n’existe pas de conflits d’intérêt entre les deux pays en question sans que nous ayons pu établir que le principe d’allégeance perpétuelle à son pays d’origine est systématiquement observé. Cependant, comme le rappelle Boris Faure ancien premier secrétaire de la Fédération des Français de l’étranger du Parti socialiste dans son essai Coups de casque, essai sur la violence en politique, les candidats pour les élections des Français de l’étranger peuvent jouer sur leur binationalité, par exemple dès leur campagne, et ne s’adresser qu’à certains pays de la circonscription, jouant sur l’identification des électeurs et sur l’importance numérique des communautés françaises dans chaque pays. Le chercheur Etienne Smith utilise même la notion de « capital d’autochtonie » qui s’interroge sur « l’éligibilité » à l’étranger, des brouillages transnationaux du vote et des effets des modalités spécifiques du « faire campagne » dans des archipels électoraux caractérisés à la fois par leur fort localisme et leur insertion particulière dans des enjeux géopolitiques plus larges. En revanche, il est clair que les élus binationaux et leur implication dans les réseaux administratifs, politiques et associatifs locaux « les conduit à ne pas exclure de se présenter aux élections dans le pays de résidence ». Un autre sujet est la légitimité des origines par rapport au scrutin, autrement dit les élus et les électeurs considèrent-ils qu’une personne binationale candidate pour un mandat des Français de l’étranger est plus légitime si elle l’est dans la circonscription qui inclut son pays d’origine ? Ou la condition de Français de l’étranger est-elle plus valide ? Le vote à l’étranger fait co-exister une communauté française à l’étranger mais révèle aussi les différenciations persistantes à l’œuvre entre communautés françaises selon l’origine, le rapport au pays « hôte » et à « l’autochtonie », le statut social et la temporalité de l’ancrage à l’étranger. Compte tenu de la complexité du monde d’aujourd’hui, les dirigeants politiques au niveau national devraient-ils être autorisés à détenir la double nationalité ? Quelles devraient être les règles ? Se garder de peser sur les décisions dans lesquelles ils ont un conflit d’intérêts évident ? À travers les exemples biographiques et les références bibliographiques, cette étude démontre en premier ressort l’absence de données, d’enquêtes et d’outils pour mieux connaître non seulement les binationaux mais tous les thèmes inhérents à leur existence. Leur engagement politique ajoute encore à l’exceptionnelle richesse qu’ils représentent pour notre pays. De même, la diplomatie culturelle de la France repose de plus en plus sur ses binationaux, notre commerce extérieur aussi. Aptes à la communication interculturelle, ils sont plus tentés par l’expatriation que la majeure partie des Français. Les Français de l’étranger, de surcroît binationaux, sont indéniablement une courroie de transmission complémentaire à celle des diplomates ! L’administration publique mais aussi les formations politiques et les associations spécialisées pourraient également ainsi mieux associer ces hommes et ces femmes, Français de l’extérieur, acteurs, à leur manière de la vie démocratique de notre pays. Recommandations : Ce travail qui nous conduit à proposer la création d’un Observatoire de la binationalité et des Français établis à l’étranger qui pourrait produire des chiffres, des indicateurs et des politiques publiques. Un élément sur lequel il faudrait d’ailleurs se pencher c’est le poids des communautés étrangères en France, leur organisation et leur lien avec leur pays et leurs relations avec un élu binational de ce pays. Plutôt que limiter leur actualité politique aux moments des élections, entre candidats parachutés et annonce de résultats anticipés, il apparaît nécessaire une prise en compte constante de leur spécificité, dans ce que leur situation peut avoir d’exemplaire et d’inspiration. par
( Laure Pallez, conseillère élue des Français de l’étranger aux États-Unis,
( Florence Baillon, docteure en littérature, ex-conseillère consulaire en Équateur, traductrice
( Hélène Demeestere, conseillère élue à Los Angeles aux États-Unis, historienne.
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