Par Julien Dray
On a beaucoup glosé le 24 novembre autour de la violence de quelques individus émanant principalement de groupuscules d’extrême-droite usant de la violence sur les Champs-Elysées pour discréditer les « gilets jaunes ». Sans regarder le mouvement dans son ensemble.
La plupart des « gilets jaunes » sont restés chez eux, dans les villes de ce que les parisiens appellent la « province ».
Parce qu’ils savent qu’ils n’ont rien à attendre d’un pouvoir qui ne les comprend pas et qui en bon héritier de Juppé reste « droit dans ses bottes ». Parce qu’ils savent aussi que leur révolte part du ventre, de leurs territoires, de chez eux. Parce qu’ils savent aussi que monter à Paris pour une manifestation suppose des arbitrages avec d’autres dépenses dans cette fin du mois de novembre.
Cette colère des territoires est d’autant plus forte que les Français ont compris que les circonvolutions du « en même temps » macronien conduisent toujours à la même conclusion : la main droite finit toujours par reprendre plus que ce que la main gauche a donné. En témoigne le plan pauvreté qui étale moins de crédits sur plus de temps que les crédits redéployés.
Jusqu’ici, cette révolte est spontanée. Elle part du profond des territoires, de Français qui pour la plupart d’entre eux n’ont jamais manifesté, ne se sont jamais syndiqués, n’ont jamais fait de politique. Ceux qui ont voté Macron se sentent lésés… à juste titre, parce que ce pouvoir méprise les classes moyennes et populaires.
Les Français ne sont pas dupes. La hausse des taxes sur l’essence et le gazole ne sert pas à financer la transition écologique et le fera encore moins demain, dans la mesure où le Gouvernement assume pleinement basculer 577 millions d’Euros du budget provenant des taxes sur les carburants de l’écologie vers le budget général. Les Français ne sont pas dupes. Tout cela sert à financer les cadeaux fiscaux de 4 milliards d’Euros vers les Français les plus fortunés.
Comme disait une femme parmi les gilets jaunes « Macron vient gratter le fond de nos poches pour remplir celles qui débordent déjà ». On nous promet une grande loi sur les mobilités, mais, il y a peu, le gouvernement était prêt à saborder toutes les lignes de trains régionaux à moins de 10 trajets par jour. Dans son incompréhension de la France, le gouvernement propose des mesures compensatoires à la hausse des taxes sur l’essence sans comprendre que les Français qui se mobilisent n’ont pas la capacité d’investissement pour acheter une voiture électrique neuve… On va donc pousser les Français à investir dans les automobiles électriques, sans même se préoccuper de notre capacité nationale à produire l’énergie nécessaire à leur rechargement.
Le mouvement des gilets jaunes est d’abord un mouvement de classe qui refuse de consentir à l’impôt dès lors que celui-ci est de plus en plus injuste et mal réparti. Or, il n’existe concrètement aucune manière pour les citoyens français d’exercer en droit cet article de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui prévoit le libre consentement à l’impôt. Hormis la révolte.
Une partie de la gauche a tort de voir derrière ce mouvement l’ombre du Front national. Il tente de le récupérer. Parce qu’il n’y a pas de débouché politique aujourd’hui pour les gilets jaunes. Il le récupérera si nous abandonnons ces Français, si nous ne leur offrons aucune perspective crédible, à gauche. Ceux qui ont déjà abandonné le mouvement à l’extrême-droite ont déjà baissé les bras. Laissons-les sur le bord du chemin.
Macron a été élu sur un malentendu, expression d’une crise politique, seule alternative face à madame Le Pen. Il incarne aujourd’hui, par sa politique, moins des 18% des inscrits qui ont voté pour lui au 1er tour de 2017.
Les gilets jaunes constituent aujourd’hui un nouveau Front populaire en ce qu’ils réunissent les classes populaires – que la gauche de gouvernement avait malheureusement oublié depuis longtemps – et les classes moyennes qui sont victimes de la politique de Macron (retraités, fonctionnaires, employés, artisans et patrons de PME…).
La politique de Macron accélère le déclassement des classes moyennes, car elle ne sert que les riches, les patrons du CAC40. On a vu en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ce que cette politique ultra-libérale occasionne comme dégâts dans la société : mépris pour les pauvres et abandon des classes moyennes.
Aujourd’hui, catégories populaires et classes moyennes sont ultra-majoritaires dans le pays. Elles se réunissent à travers les revendications des gilets jaunes sur les taxes, les impôts, l’abandon des banlieues et des zones rurales…
Ce Front populaire sociologique doit trouver une traduction politique. Les partis de gauche démocratique, les syndicats et les gilets jaunes doivent converger rapidement pour discuter et se mettre d’accord sur une réforme fiscale globale juste et proportionnée aux revenus de chacun. Un nouveau Bloc social majoritaire pourrait ainsi voir le jour.
C’est une opportunité pour toute la gauche de se refonder. Si nous ne le faisons pas, nous risquons l’émergence d’un Mouvement 5 étoiles à la française ou de voir l’extrême-droite accéder au pouvoir.
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