Il serait hypocrite de critiquer l’emploi du fameux 49.3 sans regarder, dans l’histoire de la Ve République, qui l’a déjà utilisé et pourquoi. Concernant le vote du budget, il n’a été déclenché qu’à trois reprises y compris pour celui de cette année. On a toujours eu recours à cet artifice réglementaire dans un contexte de majorité relative. On pourrait ainsi ne se reposer que sur ces faits pour justifier de son utilisation. On pourrait. Mais ce serait oublier l’évolution de la société, l’inversion du calendrier parlementaire par exemple ou l’utilisation plus ou moins opportuniste de la démocratie. Ce serait oublier que nous ne sommes plus vraiment dans un clivage historique où Gauche et droite s’affrontaient sur des bases idéologiques claires. La liberté versus l’égalité par exemple. « Au premier tour on choisit, au second tour on élimine » avait-on coutume de dire : ce n’est plus tout à fait vrai. Emmanuel Macron a usé d’une stratégie délétère pour orienter autant qu’il le pouvait l’élection présidentielle sur un affrontement entre sa personne et l’extrême droite. Ce faisant il est parvenu à fragiliser pour une part les oppositions représentées par les partis traditionnels à gauche et à droite. L’effondrement des partis de gouvernement a permis l’émergence de mouvements plus radicaux aux deux extrémités de l’échiquier politique. Une des conséquences a été la formation de trois blocs que l’on pourrait nommer ainsi : la contestation, la raison, l’intolérance. De ces trois blocs, il fallait en éliminer un dès le premier tour de l’élection présidentielle. On a donc éliminé dès le premier tour et on a recommencé au second. Et cela fait une différence terrible : Le président n’a vraiment été choisi que par une petite minorité d’électeurs. Il n’a pas été choisi pour ses idées, pour son idéologie, pour les rares réformes annoncées mais contre le danger de l’extrême droite et ceci dès le premier tour. Si légitimement et démocratiquement l’élection d’Emmanuel Macron n’est pas contestable, il en a résulté un malaise chez nombre de citoyens. Les effets ne se sont pas fait attendre.Les législatives qui ont suivi ont été l’occasion d’une mise au point de l’électorat. Et pas des moindre. Le programme, pourtant quasi inexistant, du candidat Macron a été largement contesté dans les urnes. Le peuple a majoritairement choisi la tentation révolutionnaire ou le rejet extrême, parfois xénophobe, face à une raison que l’on a voulue lui imposer et à laquelle ils ne croit plus. Entre désabusement et colère les électrices et les électeurs ont donc exprimé leur volonté de changement pour une meilleure protection, pour une réelle lutte contre le réchauffement climatique, contre un libéralisme destructeur de lien social et aussi pour une sorte de replis sur soi. Beaucoup se sont détournés du vote. Tout cela était prévisible. Il n’y a que les certitudes d’Emmanuel Macron qui l’ont empêché de le voir ! Sa majorité relative à l’assemblée n’en est que la conséquence logique. A-t-il tenu compte de ce contexte très particulier pour engager son quinquennat sur un budget compatible au moins pour partie à celui-ci ? Absolument pas ! Il a considéré la légitimité de son élection comme une carte blanche à son action. Il a bien orienté son programme pour tenter de soudoyer les députés LR et la droite parlementaire mais cela n’a pas suffit. Il savait donc dès le début qu’il n’aurait jamais de majorité, même relative, pour faire passer ce qui régit le fonctionnement de l’Etat : le vote du budget. Il savait, dès le début, qu’il aurait recours au 49.3. Les amendements proposés, contrairement à ce que l’on a entendu, n’étaient pas tous présentés dans le seul but d’une obstruction. Il en est même qui ont été votés par une majorité de parlementaires. En donnant l’illusion que l’exécutif donnait une chance au débat, on a fait que renforcer le rejet, renforcer l’impression d’un pouvoir préempté et partagé entre technocrates et aristocrates. La seconde utilisation du 49.3 sur le budget de la sécurité sociale confirme en tous points ce qui précède. Le pouvoir en place a pris un risque fou : se passer d’opposition. Créer un vide. Or la nature, chacun le sait, a horreur du vide et s’il ne se reconstruit pas rapidement un autre projet politique, une alternative crédible à cette fuite en avant de l’argent roi faiseur d’empires, c’est sans doute le peuple qui l’imposera. La gauche a donc l’énorme responsabilité de réfléchir à un avenir où chacun aura sa place ! |