Par Julien Dray
Depuis le début l’engagé.e a soutenu ce mouvement de masse. Nous l’avons observé, rencontré, suivi et nous nous sommes associés à nombre de leurs manifestations. Ce faisant, nous avons d’abord et avant tout cherché à le comprendre sans jamais tenter la moindre récupération politique.
Nous avons parallèlement dénoncé toutes tentatives de déstabilisation, d’essoufflement, de stigmatisation d’un pouvoir qui cachait mal, dans un premier temps, son incapacité à comprendre la profondeur d’un trop-plein d’injustice fiscale et sociale. Dans un second temps, c’est sans doute la peur qui prévaut. La réponse du pouvoir à sa propre peur est d’une violence inédite.
Les Gilets jaunes ont ainsi révélé un malaise. Il venait de loin. Il a trouvé son point de rupture dans la politique agressive et méprisante de l’exécutif : De toute évidence déterminé à faire payer à l’ensemble de la population l’enrichissement de quelques uns.
L’essentiel est là : l’injustice ! Ce simple mot recouvre bien des aspects. C’est sur la « diagonale du vide *» que le mouvement s’est d’abord développé. On ne peut donc nier que le facteur géographique a été déterminant. L’aspect social est à l’évidence le moteur, lié au déclassement subi par une grande partie de ce qu’on appelle, sans jamais la définir, la classe moyenne. Enfin, l’injustice est aussi caractérisée par une déconnexion des élites avec la population. Toutes les élites. de gauche comme de droite.
Si les profils des participants sont divers, ils se situent dans une catégorie identifiable. Les Gilets jaunes ont un revenu. Qu’ils soient salariés, travailleurs indépendants, entrepreneurs ou retraités, ils sont donc, ou ont été, partie active de la société. Les plus pauvres de nos concitoyens et les chômeurs, s’ils soutiennent massivement le mouvement, ne sont pas, faute de moyens, sur les ronds points au mois de novembre.
Ce n’est pas un mouvement syndical.
Ce n’est pas un mouvement politique.
C’est un mouvement citoyen.
Est-ce la raison du rejet presque général des syndicalistes et des responsables politiques ?
Faut-il, pour qu’un mouvement soit crédible, qu’il soit associé ou assimilé à une doctrine, une idéologie ? Qu’il se situe dans un périmètre de valeurs infranchissables ?
Un mouvement citoyen ne s’appuyait certes pas sur un programme politique et celui-là moins que tout autre ! Ce mouvement, issu de la société, ne demandait pas à devenir représentatif d’une idéologie.
C’est dans la confrontation que les Gilets jaunes ont fini par se structurer politiquement. cela leur a permis d’éliminer les extrêmes, et particulièrement l’extrême droite, de recentrer leurs revendications sur le social, le sociétal et le fiscal au risque de diluer un peu l’impulsion de départ.
La Gauche aurait alors pu et du, à ce moment de structuration, , appuyer le mouvement, le soutenir et l’aider à formaliser.
C’est peut-être par ce déficit de soutien et par l’éparpillement de son socle revendicatif que le mouvement s’est un peu éloigné de l’essentiel.
Même si les Gilets jaunes ont obtenu beaucoup plus que n’importe quel mouvement syndical ces dernières années ; il n’y a eu aucune inflexion significative de la politique d’Emmanuel Macron. Le « Grand débat » national n’a été qu’une mascarade publicitaire à la gloire d’un Jupiter devenu Atlas. Les mesures prises en décembre et celles prises en avril sont pour les premières une tentative de calmer les ardeurs revendicatives et pour les secondes des dépenses supplémentaires dont tout le monde a compris que ce ne serait pas les plus riches qui les paieraient.
La détermination du mouvement reste cependant très forte. Les violences policières ont dissuadé nombre de citoyens de venir risquer leur vie dans les manifestations. Ils cherchent un second souffle dans la définition d’objectifs communs. Y parviendront-ils ? L’avenir le dira !
Plutôt que de persister à les ignorer.
Plutôt que de persister à leur tourner le dos.
Plutôt que de nier leur capacité d’indignation…
La gauche dans son ensemble, qui n’a jusqu’à présent brillé d’aucun reflet positif, serait bien inspirée d’entendre, d’écouter, d’observer et de chercher à comprendre ce qui remonte « de la vraie vie des vrais gens ». Qu’ils aient un jour voté pour l’extrême-droite ou qu’ils ne votent plus depuis longtemps, ils ont droit, comme tout un chacun à leur dignité.
Allez savoir si ce n’est pas un manque de gauche qui les a pour certains radicalisés et pour beaucoup d’autres éloignés (définitivement ?) de la politique ?
* La diagonale du vide est une large bande du territoire français allant de la Meuse aux Landes où les densités de population sont relativement faibles par rapport au reste de la France. La plupart des géographes évitent aujourd’hui cette expression, qu’ils estiment à la fois péjorative et exagérée, et préfèrent parler d’une « diagonale des faibles densités »