Par Cécile Soubelet
On ne cesse d’en parler chaque jour depuis des mois : pourquoi une telle lenteur dans la mise en place de la politique de vaccination en France ? pas assez de vaccins ? la faute à l’Europe ?
Il suffit de regarder les autres pays du monde pour se rendre compte que la politique de vaccination, y compris en Europe, n’est pas envisagée de la même manière qu’en France et avec des perspectives de déconfinement tout aussi différentes.
Des pays accélèrent par tous les moyens, voire envisagent le retour à une « vie normale » à l’été
En Israël d’abord, pays qui avait misé rapidement sur des commandes massives de vaccins sans négociation de tarifs, les vaccins sont arrivés dès décembre. Grâce à une organisation quasi militaire du système de santé, ce sont désormais 90% des plus de 50 ans qui sont vaccinés. Avec des centres ouverts 24H/24, 7J/7, ce sont près de 5 millions d’Israéliens qui ont reçu les 2 doses vaccinales, soit plus de la moitié de la population. Cette politique offensive, alliée à la délivrance d’un « passeport vert » attestant des 2 doses de vaccin, a permis d’ores et déjà la réouverture de l’économie (restaurants, bars, salles de sport…), l’organisation des élections législatives, et l’étude de la possibilité prochaine de la levée du port du masque.
Aux Etats-Unis, la vaccination était l’une des promesses de l’élection de Joe Biden : 100 millions d’américains (soit un tiers de la population) vaccinés en 100 jours. Et l’objectif est déjà atteint, au point de viser 200 millions de vaccinés d’ici fin avril. Comment est-ce possible ? D’abord parce que Washington a signé très tôt des accords avec les laboratoires et a financé le développement des vaccins, par la mise en place de procédures d’homologation accélérés ensuite, et grâce à un Etat fédéral enfin qui a encouragé l’augmentation de la production locale, quitte à financer des extensions d’usines et à nouer des accords avec les champions nationaux comme Johnson & Johnson et le Groupe Merck. Si les plus âgés et les personnels de santé ont été prioritaires, les enseignants et l’ensemble des adultes sont désormais éligibles depuis mars, avec une démultiplication des moyens : 20 sites de vaccination pouvant accueillir jusqu’à 10 000 patients par jour, et une vaccination possible par un large spectre de professionnels (y compris l’armée, les médecins retraités, les dentistes, les vétérinaires et les pharmaciens).
Les perspectives sont tout aussi ambitieuses : un retour à la normale à l’été. Déjà les salles de spectacles rouvrent à New York avec une jauge d’un tiers des capacités, la Californie projette la fin de tout télétravail dès la mi-juin et Washington planche sur la mise en place d’un passeport vaccinal numérique permettant les déplacements et les activités de loisirs au début de l’été.
En Chine, les choses s’organisent également. 2 milliards de vaccins devraient être produits en 2021. La vaccination s’intensifie de jour en jour selon les autorités puisque si près de 140 millions de personnes ont déjà été vaccinées (dont des expatriés), le record de 5 millions de doses injectées par jour a été atteint, avec pour objectif de vacciner 40% de la population d’ici la fin du mois de juin. Pour atteindre cet objectif, l’Etat chinois mise sur toutes les incitations possibles, de la distribution de bons d’achat à celle de produits frais comme des œufs ou des légumes à Pékin.
Se faire vacciner, oui mais avec quel vaccin ?
Le recours à la vaccination suffit-elle à envisager un retour à la normale ? Tout dépend du choix du vaccin comme le montre l’exemple chilien. Le Chili est le 5e pays au monde dans sa politique vaccinale : plus de 26% de la population a reçu au moins une injection. Et pourtant, les chiffres de contamination restent élevés avec des lits de réanimation occupés à 96% obligeant à un nouveau confinement, et au report des désignations des membres de l’Assemblée constituante. Deux raisons semblent être avancées. Tout d’abord, le relâchement du port du masque et des gestes barrières alors que se termine l’été austral avec l’ouverture des écoles sans restriction et des commerces. Mais surtout, est mis en cause le choix d’une vaccination avec le vaccin chinois Coronavac qui permet une immunisation très limitée : elle est de 56,5% deux semaines avoir reçu les deux doses; de 27,7% pour ceux qui ont reçu les deux doses depuis moins de deux semaines; et d’à peine 3% (équivalent à la marge d’erreur) pour celles qui n’ont reçu qu’une seule dose. Quand on compare aux 94% d’immunisation du vaccin Pfizer, on se rend compte que le choix du vaccin est un enjeu pour offrir de réelles perspectives de retour à la normale.
En Europe, la disparité est la règle
Revenons à l’Europe où aucun des 27 pays de l’Union européenne n’a atteint fin mars l’objectif de vacciner 80 % des personnes de plus de 80 ans, même si l’objectif affiché est toujours d’atteindre « l’immunité collective » cet été.
Une chose est certaine, la disparité est flagrante. Alors que le Royaume-Unis a vacciné 45,5% de sa population, devant Malte (32,3%), la Hongrie (21,4%) ou la Serbie (21,3%), l’Europe reste très en retard par rapport aux Etats Unis. Et cela est encore plus flagrant si l’on regarde les 4 principales économies (Allemagne, France, Espagne, Italie).
Si l’on prend l’exemple de l’Italie, un peu moins de 2,5 millions de personnes ont été vaccinées complètement, sur une population de 60 millions d’habitants. Le manque de vaccins entre en jeu, mais aussi un système de santé très régionalisé dans un pays qui peine à établir une réelle stratégie malgré une recommandation nationale de se concentrer sur les plus de 80 ans. Pour autant, contrairement à la France, la vaccination du personnel de santé qui travaille en contact avec le public est une obligation. En cas de non-respect, des sanctions sont prévues, pouvant aller jusqu’à la suspension : un bon moyen d’incitation.
Autre pays, autre logique, le Portugal a décidé d’allier campagne de vaccination à un desserrement progressif : musées, collèges et terrasses de café ont rouvert, plus de deux mois après leur fermeture, deuxième étape d’un plan de déconfinement progressif. Les rassemblements seront cependant limités à quatre personnes par table sur les terrasses, tandis que les cours collectifs restent interdits dans les salles de sport, et les musées devront adapter leurs horaires d’ouverture.
La disparité s’opère également dans « la vie d’après », puisque des pays comme le Danemark, la Suède, la Pologne ou l’Estonie mettent déjà en place des « certificats vaccinaux électroniques » obligatoires pour avoir accès aux restaurants, aux lieux de culture ou de loisirs, alors que la France semble être réfractaire à ce genre d’obligation, mais jusqu’à quand si cela doit être un préalable à la réouverture de l’économie ?
Enfin, l’Afrique semble être une zone du monde encore oubliée. Le continent aurait besoin d’un milliard et demi de doses pour vacciner 60% de sa population. Un véritable défi pour de nombreux pays, dont un certain nombre peuvent compter sur le soutien de la Chine. Le Maroc, qui a administré une première dose à quatre millions d’habitants, utilise par exemple le vaccin chinois Sinopharm.
Le continent compte aussi sur l’Inde qui produit les vaccins AstraZeneca dans le cadre du vaste plan de collaboration internationale, mais les retards de production impactent négativement les chiffres de contamination en Afrique. Une opportunité que les Russes comptent bien tirer partie, puisque le Kenya vient par exemple de démanteler un réseau privé illégal de vaccins russes importés.
Pour conclure, il est évident que les vaccins doivent devenir des biens communs de façon à accélérer leur production partout dans le monde, et que cela doit être couplé à une organisation massive et quasi militaire de la vaccination, seule issue pour espérer voir le bout du tunnel de la pandémie et reprendre enfin nos activités (sociales, économiques, culturelles…).
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