Par Julien Dray & Daniel Goldberg
Maintenant que les slogans en tous genres ont provisoirement cessé, il est temps de revenir sur la manifestation du 10 novembre dernier. D’abord pour constater son relatif succès et l’impasse républicaine à laquelle elle conduit :
Succès avec environ 13 000 participants et l’expression du ressenti sincère de femmes et hommes de notre pays, de confession ou de culture musulmane, que le franchissement des digues d’un racisme spécifique au sein dans la société française envers les Musulmans -et les maghrébins, en particulier- devait être enfin dénoncé.
Mais succès relatif car bon nombre de citoyens qui auraient pu manifester leur refus de la haine anti-musulmans ont choisi de ne pas y participer, tant les mots d’ordre de la manifestation et certains de ceux qui y appelaient s’éloignaient de leur conception de la République, et même s’y opposaient parfois.
Ce refus de se joindre à ce cortège vient de loin. Depuis longtemps maintenant, la France est plus grande qu’elle-même quand elle agit et parle avec une vision universelle. Ce supplément d’âme politique est lié au choix fait par notre pays, depuis la Révolution française jusqu’à sa traduction dans la loi de 1905, d’un modèle démocratique dans lequel la religion n’a plus la primauté, ni dans l’espace public, ni dans la conduite des affaires du pays.
C’est le grand tort de celles et ceux qui ont organisé ce 10 novembre.
Quand on prend une telle initiative, le premier souci doit être de rassembler, et pas seulement de rassembler celles et ceux qui se situent en grande partie dans un même champ idéologique. Car alors, ce n’est plus un rassemblement, c’est un enfermement :
soit vous manifestez avec nous et sur nos slogans, soit vous êtes complices du racisme ambiant.
C’est cette demande de capitulation du camp républicain universaliste – celui qui rejette à la fois le racisme anti-musulman, mais refuse tout autant de mettre en cause la République dans ses bases – qui conduit à l’impasse du 10 novembre au soir.
Car, disons-le calmement : il n’y a pas en France de haine généralisée envers les Musulmans, ni l’’empêchement de pratiquer l’Islam pour celles et ceux qui le souhaitent. C’est pour cela que le terme d’islamophobie est à rejeter tant il est connoté d’une volonté d’instrumentalisation*.
Comme souvent dans ce cas, il y a avait donc deux mauvais choix qui résultaient des organisateurs eux-mêmes, mais aussi de la faiblesse politique et organisationnelle ainsi que de l’émiettement du camp de la Gauche et des Ecologistes laïcs et progressistes, qu’il soit politique, syndical ou associatif. Cela a été aussi permis par l’absence de réaction à la hauteur face aux multiples déversoirs racistes dans certains médias – l’interview d’E. Macron à Valeurs actuelles participant de fait au franchissement des digues –, comme en réaction à l’attentat de Bayonne.
C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon a, une fois de plus depuis 2017, manqué au devoir que lui a conféré son résultat de l’élection présidentielle. Il a justifié sa participation et la soumission de tout LFI à des slogans rejetés jusqu’alors, par le fait que rien d’autre n’avait été organisé. On rêverait de lui rappeler que, quand on frôle 20 % de voix à l’élection présidentielle et que l’on ambitionne d’être l’étendard du camp du progrès, cette faute de ne rien avoir organisé est d’abord la sienne !
Ici, nous avons refusé de nous associer à ce qui apparaissait comme la volonté, non pas d’exiger de la République de protéger les Musulmans de France et de le faire par plus de République, mais, au contraire, laissaient à penser que la République était un problème pour la protection des Musulmans.
D’autant que les initiateurs les plus en vue de cette manifestation ont à maintes fois, ces dernières années, pris cette posture.
Alors, bien entendu, la riposte identitaire d’une partie de la droite et du Rassemblement national n’a pas tardé. De ce point de vue, le caractère lilliputien de la manifestation du dimanche 18 novembre à l’appel d’un groupuscule qui aurait du déjà être dissout est finalement une réponse cinglante aux uns comme aux autres :
Non, la France n’est pas en masse raciste !
Il reste maintenant à retisser des liens distendus par cette manifestation entre antiracistes sincères, sauf à vouloir laisser peu ou prou les tenants d’un Islam politique face au RN, en plaçant E. Macron au centre du jeu.
Surmonter les divisions et mobiliser largement la société pour exiger un État protecteur pour les Musulmans de France et une lutte contre toutes les discriminations ; faire descendre nos slogans républicains des frontons pour qu’ils imprègnent la vie de nos concitoyens dans les quartiers populaires par une reconquête républicaine : voilà ce qui pourrait être une réponse efficace et juste.
* Comme l’ont très bien démontré Rachid Benzine et Christian Delorme dans leur tribune : « Les Musulmans n’en peuvent plus d’entendre parler de leur religion sur le mode de la dénonciation. » – Le Monde – 14 novembre 2019
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